Chroniques

par laurent bergnach

Giuseppe Verdi
Simon Boccanegra

2 DVD C Major (2019)
802608
Valery Gergiev joue Simon Boccanegra (1857/1881), opéra de Giuseppe Verdi

D’un homme élu doge à Gênes en 1339, devenu le personnage d’une pièce de l’Espagnol Antonio García Gutiérrez (1843), Giuseppe Verdi fait le héros d’un opéra écrit entre le printemps 1856 et février 1857. Pour lui, la représentation de factions rivales, praticiens et plébéiens, doit inspirer aux Italiens l’horreur des luttes fratricides, à la veille d’une unification qui tarde à venir (1861). Simon Boccanegra est créé le 12 mars 1857, à La Fenice de Venise, sans grand succès : une partie du public est déçue par l’absence de ces épanchements lyriques que dispensaient Il trovatore et La traviata (1853), une autre par une intrigue inutilement compliquée.

Commentant l’échec, un critique réactionnaire reproche à son compatriote de suivre les traces de Wagner, « le destructeur actuel de la musique ». Les deux géants musicaux du XIXe siècle sont souvent comparés, mais il suffit de consulter seulement leurs sources d’inspiration pour saisir qu’ils appartiennent à des univers différents – la mythologie germanique pour l’un, le théâtre romantique pour l’autre. Dans le cas présent, leur façon d’aborder un sujet politique n’a rien de commun, comme le rappelle Stéphane Pestel : « si l’accession de Rienzi au pouvoir est volontaire, consciente, motivée par le désir de restaurer la grandeur romaine des temps anciens, il en va autrement de Simon Boccanegra dans l’opéra de Verdi, ce qui en dit long sur le scepticisme du compositeur face au politique, et surtout la prédominance qu’a chez lui l’exploration des ressorts psychologiques et de la vie affective dans son ensemble » (in Verdi/Wagner : images croisées, Presses Universitaire de Rennes, 2018) [lire notre critique de l’ouvrage].

Attaché à l’essence de son mélodrame, Verdi y revient près d’un quart de siècle plus tard, avec Arrigo Boito comme réviseur du livret signé Francesco Maria Piave. La seconde version est présentée le 24 mars 1881, à la Scala de Milan. En 2019, pour le Salzburger Festspiele, Andreas Kriegenburg [lire nos chroniques de Das Rheingold, Die Walküre, Siegfried, Götterdämmerung, Die Soldaten, Otello, Lady Macbeth de Mzensk et Les Huguenots] met l’œuvre en scène dans une architecture du pouvoir d’aujourd’hui – décor d’Harald B. Thor –, facilement glaçante malgré la présence d’un piano et d’un coin de verdure. L’allusion aux réseaux sociaux, durant le Prologue, signale l’importance du partage chez le citoyen d’aujourd’hui (informations, émotions, etc.), mais aussi de possibles manipulations.

Habillés sobrement par Tanja Hofmann, les solistes sont extraordinaires. Autour de Marina Rebeka (Amelia), soprano d’une grande chaleur, sont réunis deux solides barytons : Luca Salsi (rôle-titre), robuste et souple, et André Heyboer (Albiani), dramatique et impacté – Iago en puissance. René Pape (Fiesco) apparaît sonore, comme souvent, mais plus nuancé que d’ordinaire, en père d’abord éploré. Outre les efficaces Antonio Di Matteo (Pietro), Long Long (Capitaine) et Marianne Sattmann (Servante), on aime beaucoup Charles Castronovo (Adorno), ténor sain, expressif et émouvant.

Ce n’est pas la première fois que l’on entend Valery Gergiev jouer la musique du natif de Roncole – une des plus marquantes étant ce Requiem donné à la mémoire des victimes du crash d’un Tupolev Tu-154, fin décembre 2016, parmi lesquels un tiers des Chœurs de l’Armée rouge. À la tête des Wiener Philharmoniker, le chef séduit par sa lecture d’abord soyeuse qui gagne en vivacité et puissance, toujours sur un qui-vive en adéquation une histoire pleine de suspense, à la partition inventive.

LB