Chroniques

par laurent bergnach

Giuseppe Verdi
Il trovatore | Le trouvère

2 DVD Opus Arte (2007)
OA 0974 D
Giuseppe Verdi | Il trovatore

Stimulé par des situations dramatiques intenses fournies plus d'une fois par Shakespeare, Hugo ou Schiller, Giuseppe Verdi trouve un nouveau sujet d'opéra dans un drame espagnol d'Antonio García Gutiérrez : El Trovador, créé en 1836. Tant ils sont étranges et passionnés, les personnages rencontrés le captivent et lui paraissent propres à inspirer un livret qui réponde à son vœu de toujours : « Plus il y aura d'audace, plus je serai heureux ! Plus la liberté de forme sera grande, mieux je ferai ! Si dans les opéras, il n'y avait ni cavatines, ni duos, ni trios, ni chœurs, ni finale, si l'œuvre entière était tout d'une pièce, je trouverais la chose plus raisonnable et plus juste ! » Le compositeur s'adresse à Salvatore Cammarano, librettiste deLuisa Miller, mais les mésententes vont rendre difficile l'accouchement du projet, au point que Verdi songe souvent à tout abandonner. Le principal reproche fait à l'adaptateur est que la pièce semble perdre la puissance, la force et l'originalité qui séduisaient chez Gutiérrez. Cependant, lorsque Cammarano disparaît brutalement en juillet 1852, le musicien conserve en grande partie le livret déjà établi, et ne demande le concours de Leone Emanuele Bardare que pour l'achèvement. Fait rarissime, l'ouvrage écrit en parallèle de La Traviata (moins de deux mois séparent leur création) ne fait l'objet d'aucune commande ; il sera proposé au plus offrant, soit le Théâtre Apollo de Rome. La représentation du 19 janvier 1853 est un succès qui assure désormais la réputation du Maestro comme le plus grand que l'Italie ait jamais connu.

Grâce à la captation vivante réalisée par François Roussillon en août 2006, nous découvrons le décor qui a choqué une partie du public du Festival de Bregenz (Autriche). De la taille de deux terrains de football, la scène flottante du Lac de Constance supporte un monstrede métal imprévisible aux allures de raffinerie, dont différents espaces de jeu évitent le statisme de ce genre de production (voir l'enlèvement de Leonora par voie d'eau). Usant de la pyrotechnie en écho à la centaine d'allusion au feu du livret, Robert Carsen trouve à la richesse et au pouvoir du Comte une origine qui colle au pessimisme de l'ouvrage : « L'industrie pétrochimique représente sombrement le symbole destructeur de notre époque ; elle s'auto-consume petit à petit tandis que l'avidité qu'elle suscite ne cesse d'entretenir des guerres ». Iconoclaste, Carsen ? Bien sûr que non, dans la mesure où sa structure industrielle s'inspire de l'architecture militaire classique de l'Espagne médiévale et que ses Gitans vivent, comme depuis longtemps, parmi les déchets d'une société dominante. On se reportera au bonus si l'on se sent en phase avec le metteur en scène.

Faisons connaissance également avec une des trois équipes de chanteurs nécessaires à la vingtaine de représentations prévue. Vu l'ampleur du projet, la sonorisation est de mise. Commençons par le personnage d'Azucena, qui faillit donner son nom à l'opéra : expressive – et peu modeste aux saluts –, Marianne Cornetti possède une belle pâte vocale, un chant bien mené, clair et coloré. À l'inverse, Carl Tanner (Manrico) déçoit par un timbre quelconque, une netteté contestable et un abus de points d'orgue.Iano Tamar (Leonora) possède la puissance mais pas toujours l'égalité d'émission ou le legatoDi tale amor plutôt saccadé.Zeljko Lucic (Conte di Luna) est un baryton attachant, qui livre un Il balen del suo sorriso plein d'intériorité. Giovanni Battista Parodi (vaillant Ferrando), Deanne Meek (Ines évidente) et José Luis Ordonnez (Ruiz) sont d'honnêtes seconds rôles. Le Chœur masculin s'avère joliment nuancé, au point d'en paraître mou tout d'abord. Dirigeant les Wiener Symphoniker depuis un théâtre couvert à proximité, Thomas Rösner offre une lecture dégraissée et sans sucre, parfois même incisive – trio final de l'Acte I.

LB