Chroniques

par laurent bergnach

Giuseppe Verdi
La traviata | La dévoyée

1 DVD Bel Air Classiques (2005)
BAC 005
Giuseppe Verdi | La traviata

Déjà connue du public avant de reparaître dans le livret de Francesco Maria Piave, l'histoire de La Dame aux camélias voit le jour sous la plume d’Alexandre Dumas Fils (1848), qui adapte lui-même le récit au théâtre en 1952. Ce n'est donc pas le sujet (la vie et la mort d'une courtisane) qui rebute les Vénitiens, lors de la première représentation du 6 mars 1853 à la Fenice, mais – semble-t-il – de voir Verdi, pape des opéras historiques, utiliser un cadre moderne pour sa dernière création. Preuve en est qu'un triomphe est réservé l'année suivante à une Violetta Valery évoluant sous le règne de Louis XIV… Dans un style durasien, Peter Mussbach nous donne sa vision de la dévoyée :

« …une femme en train de mourir. C'est ce que cela raconte. Le temps de la représentation, cette femme s'éteint sous nos yeux, quasiment en direct. Il n'y a pas moyen d'escamoter cela. Et pourtant, on ne veut pas le savoir, parce qu'aujourd'hui, on évacue la mort. (…) Le statut de Violetta est celui d'une maîtresse ; il lui permet d'exister. Le drame que raconte l'histoire de cette femme, c'est qu'elle découvre qu'elle aime exactement dans le même temps où elle découvre qu'elle va mourir. Elle aime quand tout est déjà trop tard. »

Pâle et blonde, robe blanche et bande de gaze en guise de gant manchette, Mireille Delunsch incarne l'héroïne mourante, sur une portion de route marquée de lignes jaunes. Si les premiers moments font apparaître les faiblesses de la voix (timbre acide, problème de style, legato optionnel, vocalises souvent savonnées, ossias délaissés…), le mezzo piano entretenu avec émotion en milieu de deuxième acte (Ah ! Dite alla giovine) et de beaux récitatifs commencent à nous réconcilier avec la soprano française. Même si ses nombreuses pertes d'équilibre nous agacent, sa lividité et son égarement sont d'une effrayante expressivité. Omniprésente sur scène, elle tient sans faillir son personnage d'un bout à l'autre. Cela fait un peu oublier les figures de croque-morts qui animent les deux bals (maquillages new wave totalement dépassés), les effets lumineux clignotants autant qu'inutiles…

Le reste des chanteurs va nous donner ce plaisir que nous refuse le metteur en scène, pour cette production du Festival d'Aix-en-Provence, captée en juillet 2003. Brillant, Matthew Polenzani (Alfredo) possède la voix, le style et le legato qui conviennent à cette partition tandis que Zeljko Lucic (Germont) est un baryton séduisant, avec beaucoup de présence, malgré un manque de nuances. Geneviève Kaemmerlen (Annina) offre une prestation honorable. Tous sont accompagnés par l’Orchestrede Paris, avec à sa tête Yutaka Sado qui fait merveille. Régularité et élégance caractérisent sa lecture dont le caractère d'urgence donne raison à Mussbach : « Il n'y a pas moyen d'escamoter cela ».

LB