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Chroniques
Giuseppe Verdi
Rigoletto
« Votre gigantesque manière de remuer comme des mondes les idées et les images, cet orgue de la pensée dont tous les claviers retentissent sous vos doigts, tout cela jette dans l’âme une sonorité si puissante qu’on n’ose plus y mêler sa faible note, perdue qu’elle serait dans les ouragans que vous déchaînez. »
Cet hommage signé Gounod s’ajoute aux nombreux reçus par Victor Hugo de son vivant (1802-1885), lequel regardait les musiciens tantôt comme des vandales – « défense de déposer de la musique le long de mes vers » –, tantôt avec la plus vive admiration – Palestrina salué en tant que « vieux maître, vieux génie », Beethoven en qui « on voi[t] un dieu aveugle créer des soleils », etc. Cette relation ambiguë s’affiche en particulier au moment de la création vénitienne de Rigoletto (11 mars 1851), inspiré du Roi s’amuse (1832), sept ans après celle d’Ernani (9 mars 1844). Ayant bataillé en justice – et en vain – pour empêcher la programmation française de l’ouvrage de Verdi, Hugo finit par rendre les armes à l’écoute du quatuor final :
« Ah ! si seulement je pouvais moi aussi, dans mes drames, faire parler simultanément quatre personnages de telle manière que le public en perçoive les paroles et les divers sentiments et obtenir un effet égal à celui-ci ! »
Cent cinquante ans après la première parisienne (1857), cette production dresdoise (2008) propose un bel alliage de talents. Juan Diego Flórez incarne le Gonzague avec évidence, élégance et lumière. Željko Lučić – pas toujours juste, mais au phrasé soigné – lui répond avec sonorité et nuance. Voix bien projetée au timbre profond, Markus Butter (Ceprano) forme un couple équilibré avec Kyung-Hae Kang. Markus Marquardt (Manterone) s’avère tonique, ferme et très dirigé. Contrastant avec la plantureuse Christa Mayer (Maddalena), Georg Zeppenfeld (Sparafucile longiligne) intéresse par son impassibilité et sa riche couleur vocale. Quant à elle, Diana Damrau (Gilda) impose une présence éclatante, dépourvue de minauderie, tirant partie de son incroyable agilité, d’un legato délicieux et d’un sens aigu de l’ornementation.
D’un univers de plaisir où langue et poignard sont également acérés, Nikolaus Lehnoff offre une vision inhumaine : les courtisans, « race vile et damnée », règnent sous l’apparence de sauriens ou de rapaces, avant d’arborer le masque démoniaque d’une inquiétante confrérie. La chambre de Gilda n’est pas rassurante non plus : huis-clos de la pureté idéalisée, elle est un refuge aussi peu fiable que le couvent de Blanche de La Force. Au rang des acteurs de cette réussite, citons enfin Fabio Luisi à la tête de la Staatskapelle Dresden, chef précis, voire lapidaire.
LB