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Chroniques
Gioachino Rossini
Petite messe solennelle
Naïve propose aujourd’hui la Petite messe solennelle de Gioachino Rossini, telle qu’elle fut donnée le 24 juin 2014 au Festival de Saint-Denis. On attendait avec impatience la prise de rôle très insolite du contre-ténor argentin Franco Fagioli, pour la partie d’alto solo. Boutade ou volonté réelle du compositeur italien connu pour son autodérision, il écrivait : « Douze chanteurs des trois sexes – hommes, femmes et castrats – seront suffisants pour son exécution… ». Le chef baroque de la Scala de Milan aurait bien pris au mot Rossini, si Fagioli n’avait déclaré forfait pour des raisons familiales. C’est le jeune contralto Delphine Galou qui l’a remplacé au pied levé. Autre changement, pour la basse, cette fois : Alexander Vinogradov à la place de Marco Vinco (le neveu des époux Ivo Vinco et Fiorenza Cossotto que les lyricomanes connaissent bien).
À l’écoute de cet enregistrement parfaitement capté dans l’acoustique complexe de la Basilique, on est étonné par le parti pris très vif du chef italien qui signe apparemment la plus courte version de la discographie de cette œuvre dans sa mouture pour orchestre : cette exécution tient en un seul CD. L’auditeur s’habituera aisément à ce choix original rythmé qui, pour autant, ne le cède en rien au recueillement et au sacré qu’on attend d’une œuvre religieuse.
Même si Rossini aimait à la considérer comme un de ces petits péchés de vieillesse, il ne faut pas oublier que cette Messe fut initialement composée en 1864 pour solistes, chœur, harmonium et pianos. Elle fut interprétée dans le salon parisien de l’hôtel du comte Pillet-Will, mécène de l’auteur, en présence de deux cents invités, le Tout-Paris de l’époque et des personnalités étrangères dont le nonce apostolique et des ambassadeurs. Un an plus tard, c’est pour commémorer la disparition de son ami le musicien suisse Louis Niedermeyer baron d'Altenbourg qu’il remodela son opus le plus important depuis son retrait de la scène lyrique, en le réorchestrant et en lui adjoignant de nouveaux passages chantés. « Cette petite composition devrait être hélas le dernier péché mortel de ma vieillesse », écrit Rossini terrassé par un cancer et retravaillant sa partition sur son lit de mort.
Avec une énergie incroyable, Ottavio Dantone sait admirablement restituer l’alchimie complexe entre verve humoristique et solennel religieux, grand écart difficile où se fourvoyèrent de nombreux chefs. L’importante discographie montre aussi combien il est ingrat de retenir l’égo de monstres sacrés rompus aux rituels du bel canto. Ici, le quatuor de solistes, pris sur le vif, est admirable de cohésion et de simplicité. Aucun défi, aucune joute opératique entre les voix.
Après ses succès mozartiens et rossiniens, Julia Lezhneva reste attachante et pudique, avec cette voix angélique si particulière, tendre et veloutée. Son duo avec Delphine Galou du Qui tollis peccata mundi est anthologique, et l’Orchestre de Chambre de Paris les accompagne idéalement. Le compositeur confie aussi au soprano deux superbes arie, la séquence Crucifixus et l’hymne O Salutaris hostia, ajoutées par le maître de Pesaro à la révision définitive orchestrée, dans lesquelles la jeune diva excelle avec la simplicité et la délicatesse qu’on lui connaît. Par la chaleur du timbre et son émission originale, Delphine Galou réussit presque à faire oublier Franco Fagioli… écoutez son incroyable Agnus Dei qui clôt la partition : on croirait vraiment entendre un castrat. On l’a beaucoup apprécié, entre autres, dans Les contes d’Hoffmann : le ténor Michael Spyres est tout simplement parfait. Son Domine Deus, prétexte pour beaucoup à d’insupportables cabotinages, est d’une efficace sobriété. Toutes les notes sont là, sans abus de portamenti et de vibrati, dans une intelligence du chant belcantiste.
Le seul point faible de cette belle distribution est la basse russe Alexander Vinogradov. Il abuse de notes « poitrinées » et les passages entre les différents registres sont difficiles, peut-être à cause d’un manque de préparation, puisqu’il remplaçait au pied levé une basse italienne qui aurait été plus idiomatique. Les apparitions du chœur Accentus sont, comme toujours, superlatives. Une belle réalisation menée de main de maître par Ottavio Dantone.
MS