Chroniques

par katy oberlé

Giacomo Puccini
airs d’opéra

1 CD Sony Classical (2015)
888750924926
Le ténor Jonas Kaufmann chante Puccini

Après les récents albums Wagner et Verdi, c’est sur Giacomo Puccini que notre grand ténor allemand jette son dévolu. Accompagné par la fort chatoyante sonorité de l’Orchestra dell'accademia nazionale di Santa Cecilia, Jonas Kaufmann signe The Puccini Album qui le replace dans la tradition lyrique, après le curieux Du bist die Welt für mich, pas de côté ou private joke plutôt déconcertant [lire notre chronique du 23 mai 2015].

Faut-il s’étonner que la part la plus belle y soit faite à Manon Lescaut, à compter sans doute parmi les ouvrages les plus faibles du compositeur toscan ? Faible, c’est incontestable, mais qui offre des moments de bravoure mettant en vedette un Des Grieux particulièrement vaillant, on ne saurait le nier. Après un Donna non vidi mai où le brio de la voix le dispute au moelleux de l’orchestre, sous la baguette inspirée d’Antonio Pappano, la tension dramatique du duo de l’Acte II est plus intéressante, bien que le soprano Kristine Opolais ne s’y révèle guère une héroïne idéale, avec une ligne peu orthodoxe, et un italien embué. Ce digest se poursuit avec Ah, Manon, mi tradisce, où Kaufmann use d’une couleur formidablement expressive, soutenue par un Pappano joliment lyrique. Voilà l’auditeur propulsé dans le troisième acte, l’amoureux rejoint par le solide baryton-basse Antonio Pirozzi et un Coro dell'accademia nazionale di Santa Cecilia irréprochable.

Trois raretés jalonnent ce disque. De La rondine (1917), opéra plutôt mal fagoté, avouons-le, nous entendons Parigi! È la città dei desireri noblement infléchi, qui laisse judicieusement deviner les espoirs de Ruggero. Pappano ménage un velours instrumental des plus plaisants. Retour vers le passé, avec Edgar (1889), drame qui puisait chez Musset. L’introduction de l’air Orgia, chimera dall’occhio vitreo fait l’objet du plus grand soin, et le ténor, palpitant d’émotion, captive tout-à-fait : vigueur et fermeté, puis une souplesse caressante font les délices de ce passage. Remontons encore le temps, lorsque l’Italien écrivait son premier opéra, à vingt-cinq ans : Le villi (1883) puise son romantisme dans la veine fantastique. En flirtant à juste titre avec une verve déjà pré-vériste, le chanteur convainc aisément dans unTorna ai felici di, romance tragique qui constitue le sommet de ce récital.

Passons aux œuvres plus souvent jouées, avec deux extraits du Trittico, créé fin 1918 à New York. L’air déchirant de Luigi du Tabarro fonctionne parfaitement, quand le Rinuccio du truculent Gianni Schicchi fait merveille : chanté comme ça, l’hymne à Florence laisse pantois ! Huit ans plus tôt, le Metropolitan Opera donnait le jour à La fanciulla del West qui, depuis quelques années, retrouvent les honneurs de la scène [lire nos chroniques du 4 février 2014 et du 26 février 2013, ainsi que nos critiques DVD des productions de Christof Loy, Giancarlo del Monaco, Ivan Stefanutti et Nikolaus Lehnhoff]. Or son sei mesi, récit du destin prédestiné de Ramerrez, jouit d’une interprétation poignante, extrêmement nuancée. L’ultime requête du condamné, Ch’ella mi creda libero, gagne le niveau de Torna ai felici di (Le villi). Si mes articles sur les albums monographiques précédents émettaient diverses réserves, je m’avoue cette fois pleinement conquise [lire notre critique des CD Verdi et Wagner].

Les grands tubes pucciniens, maintenant. Si la fougue du bref Addio, fiorito asil de Madama Butterfly manque de tendresse, c’est dans le savoureux O soave fanciulla de La bohème qu’on la rencontre, douceur quasiment divine, conjuguée à une ardeur qui fait plaisir à entendre – on en reprendrait, tiens ! Dans les mêmes années, Tosca et un enthousiaste Recondita armonia. Enfin, c’est l’inachevé de Puccini qui conclut le disque. Du premier acte de Turandot, l’on goûte un Non piangere, Liù de toute beauté (qui laisse basse et soprano sur le bas-côté) : la voix est suave, l’inflexion passionnée, de même que l’orchestre italien. Pour finir, halte méditative dans l’action, Nessun dorma, qui donne son titre à l’album. Superlatif !

KO