Recherche
Chroniques
Giacomo Puccini
Manon Lescaut
Traversant une crise amoureuse, Puccini s'éprit-il trop vite de la jeunesse des héros de L'histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, extraite des Mémoires et aventures d'un homme de qualité de l'Abbé Prévost ? À constater la faiblesse de sa Manon Lescaut, comparée aux autres ouvrages du compositeur, on peut se le demander, a contrario du succès ménagé par le public turinois à la création, le 1er février 1893. Aussi, cet opéra fait partie de ceux que des grandes voix peuvent transcender, qu'une production soignée peut magnifier, qu'une baguette ingénieuse peut faire vivre.
Filmée au Met au printemps 1980, la représentation éditée aujourd'hui par Deutsche Grammophon ne peut guère s'enorgueillir d'avoir rencontrée en James Levine le troisième des ingrédients énumérés. Souvent pressé dans le premier acte, sa lecture manque de sensualité, bien qu'elle finisse par trouver un certain panache. Plus délicat dans le prélude de l'acte suivant, le chef américain se révèlera à la fois maniéré et maladroit dans le troisième, dirigeant au final un générique pour Walt Disney ! Au dernier, on ne saisit pas grand'chose à une logorrhée indéfinie. Il est vrai que le Metropolitan Opera Orchestra n'est l'instrument des rêves d'aucun chef, comme nous le rappelle cruellement cette performance où les cordes savonnent généreusement, tandis que les cuivres font ce qu'ils peuvent !
Seconde condition requise à l'admissibilité de l'ouvrage : la mise en scène. Ici, le texte, la partition, la situation, l'action ont inspiré celle de Gian Carlo Menotti, de sorte que le spectateur ne s'y perd jamais, même dans les moments de pleine effervescence. Car il se passe beaucoup de chose sur ce plateau, y compris l'arrivée d'une vraie diligence tirée par deux chevaux ! Tout le monde joue, et la présence du moindre figurant se trouve justifiée, dans des mouvements d'ensembles et de chœurs efficacement réglés. En général, la tendance est à la surcharge – décors et costumes de Desmond Heeley –, mais une surcharge festive qui sait s'imposer dès le lever de rideau. En revanche, dans le dernier acte, Menotti fait confiance aux chanteurs, et c'est tant mieux.
Enfin, qu'en sera-t-il des voix ? Tout d'abord, le niveau du Chœur de la célèbre maison américaine est nettement supérieur à celui de son orchestre. Par ailleurs, si Philip Creech est un pâle Edmondo, trop confidentiel, Renato Capecchi est un Ravoir irréprochable et même touchant. Notons également la voix fiable du Capitaine Russel Christopher. Affirmant une complicité convaincante avec l'héroïne, le Lescaut de Pablo Elvira offre un chant d'une saine fermeté. Enfin, les amants n'auraient su être mieux servis : Plácido Domingo se montre ici d'une élégance extraordinaire, usant souplement d'un aigu doré et d'une vaillance qui semble à toute épreuve.
Quant à Manon… Dès sa descente de la diligence, sans avoir ouvert la bouche, Renata Scotto accuse une présence scénique bouleversante. Elle compose une Manon sans minauderies, comprenant bien qu'il s'agit d'être, l'instant de la représentation, ce qui exclut de se limiter à l'accumulation de signes extérieurs. Le personnage qu'elle propose n'est certes pas innocent, il est abordé sans mièvrerie, mais surtout sans vulgarité. Outre des qualités d'actrice inégalées, Scotto enchante par un art tout en nuance, délicatesse et raffinement, rendant affreusement émouvant son In quelle trine morbide du deuxième acte.
BB