Chroniques

par anne bluet

Giacomo Carissimi
histoires sacrées

1 CD Pan Classics (2005)
PC 10182
Giacomo Carissimi | histoires sacrées

« Vénéré plus que quiconque par les Français, qui pourtant ne vénèrent guère que leurs compatriotes », tel est le constat sarcastique fait par le compositeur et théoricien allemand Johann Mattheson de l'accueil réservé à Giacomo Carissimi sous le règne de Louis XIV. Alors que la lutte est engagée contre l'hégémonie de la musique italienne, le « moins indigne adversaire » de Lully reçoit des marques d'estime officielles qui surprennent moins si on sait que la réputation du musicien était internationale, et que Charpentier fut sans doute l'un de ses élèves à Rome, aux alentours de 1654. Quelques siècles plus tard, les artistes de France continuent de mettre en avant une œuvre féconde, comme ici Les Paladins, avec ce live réalisé en octobre 2004, dans le cadre du festival Musiques d'Automne, en l'église de Saint-Genest-Lerpt.

De l'âge de vingt-trois ans jusqu'à sa mort, Carissimi (1605-1674) passa plus de quarante ans de sa carrière au sein du Collegio Germanico, tenu par les Jésuites. Répondant au goût de ces derniers pour les spectacles édifiants en particulier, il sera à l'origine de nombreux oratorios qui attireront l'attention sur lui. Mais, comme tout compositeur de cette envergure, ses œuvres, outre qu'elles ont été dispersées un siècle plus tard, lors de la dissolution de la Compagnie, se verront mêlées à quantité d'imitations et de plagiats. Des cinq oratorios présentés ici, dont on ignore les circonstances de création, seuls Jephte (composé avant 1669) et Judicium Salomonis (avant 1648) lui sont attribuables avec certitude.

À une époque où la musique italienne, profane ou religieuse, se dramatise, il n'est pas toujours aisé de différencier l'oratorio de l'histoire sacrée ou du motet. Comme eux, il comporte de sections dramatiques (souvent sous forme de dialogue manichéen), alternant avec des sections contemplatives et narratives (intervention de l'historicus). Joué sans costumes ni décors, l'oratorio de Carissimi, par sa structure musicale (récitatif, arioso ou aria) se rapproche bien de l'opéra naissant, à la différence qu'il accorde au chœur une place centrale. Le texte, tiré de la Bible, est chanté en italien mais de préférence en latin, très apprécié de l'aristocratie romaine.

C'est avec une grande élégance que Jérôme Correas introduit Judicium Salomonis, dans une certaine urgence dramatique, ne s'embarrassant d'aucune emphase superflue. Comme dans la suite de l'enregistrement, on remarque immédiatement la clarté et l'efficacité du dessus, Jean-François Lombard. Ici, la lutte entre les deux mères trouve son expressivité idéale, grâce au soprano de Monique Zanetti, mauvaise à souhait, si l'on peut dire. En revanche, la prestation de Raphaële Kennedy reste en deçà, avec des aigus peut-être trop droits, un timbre anormalement enfantin et un chant en général maniéré ; du reste, dans le quatuor vocal qui suit, on ne la perçoit presque plus. Renaud Delaigue fait évidemment un excellent diable dans Historia di Job, jouissant d'un grave timbré qu'il sait rendre sulfureux comme il faut. Lombard affirme un beau travail de nuances, toujours avec un grand raffinement. Sous la battue attentive de Jérôme Correas, les instrumentistes de l'ensemble Les Paladins [lire nos chroniques des 29 août 2005 (Mazocchi) et 18 septembre 2005 (Hasse)] énonce avec une délicatesse infinie l'Oratorio de la Vierge où Patricia Gonzalez s'avère lumineuse, et saisisse l'auditeur par la précieuse vivacité que les cordes livrent à Caïn. On retrouve avec plaisir Jean-François Novelli ; bien que desservie par la prise de son, sa personnalité vocale s'affirme pleinement dans la fin d’Historia di Jephte.

AB