Recherche
Chroniques
Giacinto Scelsi
Les anges sont ailleurs...
Mise à part une maigre biographie, toujours la même, que le musicien autorisait, et une énigmatique signature dont on illustrait les programmes des concerts, on ne possède pas beaucoup d'éléments sur Giacinto Scelsi. Aussi saluera-t-on avec enthousiasme la parution de Les anges sont ailleurs…, un ouvrage regroupant plusieurs textes de Scelsi, une documentation iconographique et une biographie digne de ce nom signée Luciano Martinis. C'est à Sharon Kanach que l'on doit cette initiative, cette musicienne américaine qui assista le compositeur italien pendant ses dix dernières années, et qui s'occupe aujourd'hui de la diffusion de ses partitions chez Salabert. Deux autres titres sont d'ailleurs à paraître chez Actes Sud – L'Homme du son et Il Sogno 101 – qui permettront d'approcher plus précisément un artiste qui entretint le mystère.
On le sait, de la musique de Scelsi naquit le mouvement spectral, il y a une trentaine d'années. C'est dire l'importance d'un compositeur que l'on joue peu et dont le centenaire de la naissance (2005) passa presque inaperçu ! La carrière de ses œuvres paraîtra discontinue : si on le joue beaucoup avant et pendant la guerre, lui montrant une certaine estime, si Desormière dirige à Paris, en 1949, sa grande cantate La Nascita del Verbo, une veine poétique s'empare de la nécessité créatrice. Ainsi plusieurs recueils paraîtront chez Gallimard : Le Poids net en 1949, L'Archipel nocturne cinq ans plus tard, puis La Conscience aiguë en 1962. Toute sa vie, Scelsi écrirait avec les mots, et pas uniquement avec les notes – « ce ne sont que des habits, des robes ; mais ce qu'il y a dans la robe est généralement plus intéressant » –, côtoyant ceux de Pierre-Jean Jouve et d'Henri Michaux, entre autres. Enfin, il y eut les grandes pièces des années soixante. La presque criante discrétion d'un personnage, qui pourtant remporta des concours d'élégance dans sa jeunesse, pourra s'expliquer par une disparition volontaire de l'ego au profit de l'œuvre qui n'est pas vécue comme une affirmation existentielle mais comme une entité qui ne ferait que transiter par celui que l'on appelle à tort créateur, partant qu'il ne serait qu'un médium parmi d'autres.
Dire cela ainsi n'est bien sûr que grossièrement résumer l'attitude spirituelle de Giacinto Scelsi. Aussi vous invitons-nous à l'appréhender par ce livre qui s'accompagne d'un CD où vous entendrez quelques exemples de l'univers musical de Scelsi, mais aussi sa voix – « quand je joue, ce n'est pas moi qui joue » : voilà qui rejoint ce que l'on vient de dire –, grâce à quelques extraits d'une émission radiophonique. « N'importe quelle activité doit être transformante pour l'être », nous y dit-il ; à coup sûr, la lecture et l'écoute des Anges sont ailleurs... saura l'être.
BB