Chroniques

par laurent bergnach

Georges Aperghis
Avis de tempête

1 CD Cyprès (2005)
CYP 5621
Georges Aperghis | Avis de tempête

Il y a quelques années, Georges Aperghis demandait au musicologue, traducteur et essayiste Peter Szendy de réfléchir à la notion de tempête comme thème d'un spectacle à venir (dont naîtrait également le livre Les Prophéties du Texte-Léviathan, aux Éditions de Minuit). Après diverses pistes – utilisation de bulletin météo ou d'un livret inachevé d'Artaud pour Varèse –, c'est L'homme-paratonnerre, une nouvelle de Melville, qui a déclenché une écriture à deux mains, servant de trame où puiser « comme dans un inconscient commun, souterrain ». Des extraits de Moby Dick et de King Lear s'y sont ajoutés, mais aussi des mots de Kafka ou la voix de William S. Burroughs. Créé à l'Opéra de Lille [lire notre chronique du 17 novembre 2004], Avis de tempête est le deuxième projet d'Aperghis avec l'Ircam. La partie électronique y tient une place importante au point d'avoir été conçue, comme une vaste base de données (avec Sébastien Roux), avant de composer la musique. Le créateur s'en explique :

« Nous sommes tous traversés par des fluides, des sons, des images, des informations. Il devient très difficile de s'arrêter sur quelque chose. L'électronique me permet de réaliser cet état de transition perpétuel, de sauter d'un univers à un autre. Un son abstrait devient la voix d'un acteur, un phonème devient de l'eau qui coule, un personnage peut être parcellisé puis reconstitué ailleurs. Je travaille sur deux mondes électroniques, un univers harmonique fait d'octaves faussés et un univers de bruits infimes amplifiés qui grossissent et emportent tout ». Comme une tempête, en fait, mais une « tempête mentale qui déchire le texte et le spectateur de l'intérieur ».

Cependant, l'électronique n'intéresse le créateur que si le corps y trouve sa place. L'opéra en treize séquences, avec installation vidéo (sept écrans dont la structure est inspirée du cerf-volant de Benjamin Franklin, suspendus autour d'une grande tour où se cachent vidéaste et assistant musical), en invite plusieurs : l'actrice Johanne Saunier, le chef Georges-Elie Octors, le soprano Donatienne Michel-Dansac et les barytons Lionel Peintre et Romain Bischoff. D'une voix posée, presque berçante, les deux premiers se partagent les passages calmes de l'œuvre tandis que les chanteurs hantent les plus agités, quand les timbres se superposent, que la voix se perche haut, que le débit semble incontrôlable, sur fond de cordes stridentes. Dans cet univers entre Berio et Lewis Carroll, on trouve aussi un chemin menant à Fausto Romitelli, à la mémoire duquel cet Avis est dédié.

LB