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Chroniques
Georg Friedrich Händel
L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato
Composé pendant l’hiver 1740, entre Israel in Egypt et Messiah, L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato est une ode pastorale unique dans la production d’Händel. Malgré son titre trompeur en italien, il s’agit sûrement de l’œuvre la plus anglaise que le Saxon composa en hommage à son pays d’adoption. Ni opéra, ni oratorio, cette ode est typiquement dans le goût anglais. Le Théâtre Royal de Lincoln’s Inn Fields accueillit l’œuvre avec un grand succès mettant afin à une période de crise avec son public qui finissait par bouder ses opéras.
Sur un texte en anglais de Charles Jennens, librettiste attitré d’Händel, d’après les poèmes de John Milton, l’être humain oscillerait ainsi entre deux tempéraments qui rentrent en conflit : L’allègre, enjoué, jovial et insouciant et Le pensif, réservé, dubitatif et mélancolique. Le modéré permet une issue raisonnable réconciliant les aspects opposés de notre personnalité. Il Penseroso est confié à une voix de soprano féminin, alors que seules des voix masculines se partagent L’Allegro : un ténor, une basse et un treble qui était souvent distribué à un soprano garçon avant sa mue. Quant au Moderato, grand réconciliateur et fédérateur du genre humain, il caro Sassone choisit de faire alterner les différentes tessitures précédemment présentées, auxquelles il ajoute un baryton.
La version proposée par Paul McCreesh et son Gabrieli Consort and Players titre fièrement 1740 sur la tranche de l’élégant livre-disque richement illustré et documenté, mais uniquement en anglais. Elle se veut conforme à la création de l’œuvre, même si le compositeur ne cessa de faire évoluer son travail jusqu’à sa disparition, preuve de l’intérêt qu’il accordait à la partition originale.
Ici, la principale innovation par rapport aux interprétations de John Eliot Gardiner ou Robert King est la réintroduction de deux des douze Concerti grossi Op.6 (les premier et troisième) donnés pendant la saison 1739/40, en guise d’ouverture pour les deux premières parties de l’ode. Le Concerto pour orgue en si bémol majeur HWV 306 (Op.7 n°1), quant à lui, sert d’introduction à la troisième partie plus particulièrement consacrée à Il Moderato. Se référant à des documents d’époque, McCreesh propose donc ces trois compositions comme des entractes – un peu longuets… – préludant à chacune des parties.
À l’écoute de cette nouvelle version, nous ne pouvons cacher une certaine déception, en partie liée à la prise de son. La direction de Paul McCreesh est assez irrégulière, parfois scolaire, parfois trop contrastée, privilégiant malgré tout la gravité d’Il Penseroso à celle de L’Allegro. Les cordes grincent comme à l’aube de la révolution baroque et les Gabrieli sonnent étroits et sans lyrisme. Les Concerti grossi sont fades et interminables, alors qu’ils sont censés aiguiser la curiosité de l’auditoire. Seule l’œuvre pour orgue est divertissante et enlevée. Au cours du premier mouvement, on retrouvera le thème de la fameuse Passacaille d’Händel, cher aux pianistes en herbe étudiant Les classiques favoris.
Les tempi sont trop retenus pour les parties plus sombres, contrastant avec les plus joyeuses trop primesautières. Certes, les allégories doivent s’opposer et se combattre… Le cast est entièrement britannique. Le ténor Jeremy Ovenden en fait des tonnes dans le maniérisme. Son timbre, qui n’a rien d’exceptionnel, agace plus qu’il ne sert L’Allegro. Dès son air d’entrée qui, certes, doit évoquer les Enfers, il exacerbe les contrastes et la déclamation, appuyant fort sur « loathed » (odieuse) et insistant sur « Cerberus » ou « Styge ». Il a beaucoup de difficultés à vocaliser et à apprivoiser une ligne vocale qui manque de legato et de souplesse. L’excellent chœur lui dame le pion dans les éclats de rire de son air Haste thee, nymph.
Le cas de Gillian Webster est différent.
Le soprano britannique possède un beau timbre central riche et consistant, mais manque d’agilité et de charisme. L’air Come pensive nun est cependant très émouvant. La pensierosa Alcina (1735) est encore très vivace dans cet épisode plein de tendresse… En revanche, le tube chéri de nombreux sopranos, Sweet bird, n’est pas convaincant : la chanteuse n’arrive pas à alléger sa voix et le sublime écho avec la flûte la met en difficulté. Les notes aiguës sont parfois douloureuses et inadaptées à sa tessiture.
C’était le dernier enregistrement de Laurence Kilsby en tant que soprano garçon, âgé de quinze ans : il est ténor, à présent. Fort surprenante, sa voix est timbrée et riche comme celle d’un soprano simple. Il s’en sort très bien dans la partie de treble de L’Allegro, là où Gardiner élisait Marie McLaughlin dans son enregistrement de 1981. Dans des rôles sacrifiés par le compositeur lui-même, la basse d’Ashley Riches est honnête, sans plus, et le vétéran Peter Harvey excellent.
Une version inégale, mais de bon niveau, qui ne remet pas en cause la suprématie de John Eliot Gardiner et Robert King.
MS