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Chroniques
Gaetano Donizetti
La favorite
Héritier de Rossini et précurseur de Verdi, Gaetano Donizetti (1797-1848) rêve de conquérir Paris, comme tant de confrères italiens déjà fêtés dans leur propre pays. Il y séjourne une première fois en 1835, découvrant ainsi les ministres du Grand opéra, Meyerbeer et Halévy, qu’il entreprend d’égaler dans un genre en plein essor (1820-1870). À peine cinq ans plus tard se créé son quatrième ouvrage en français, La favorite, présentée le 2 décembre 1840 dans ce qui avait repris l’emblématique appellation d’Académie Royale de Musique (Salle Le Peletier). L’œuvre est une phase décisive dans l’ascension du compositeur le plus joué dans la capitale durant la décennie où naissent Saint-Saëns et Bizet ; elle y serait donnée près de sept cents fois jusqu’en 1918.
La genèse de ces quatre actes est mouvementée. En 1834, s’appuyant sur un drame signé Baculard d’Arnaud (Les amants malheureux, ou Le comte de Comminge, 1790) – assujetti au gothique naissant, il débute au milieu de sépultures trappistes – et sur une adaptation musicale de Pacini et Rossi (Adelaide e Comingio, 1817), Donizetti écrit l’inachevé Adelaide qui ferait le brouillon de L’Ange de Nisida, opera semi-seria commandé par le Théâtre de la Renaissance. La troupe d’Anténor Joly débute les répétitions en février 1840, mais la faillite de l’entreprise met un terme au projet. De façon logique, le rival de Bellini récupère ce matériau pour sa Favorite. L’incontournable Eugène Scribe vient ajouter son nom au livret remanié d'Alphonse Royer et Gustave Vaëz – ces deux-là adapterait en français Lucia di Lammermoor (1835/1839) et I Lombardi alla prima crociata (1843/1847).
Fille d’un riche marchand qui devint l’égale d’une reine dans la Castille du XIVe siècle, Leonor de Guzmán (1310-1351) fut d’Alphonse X une maîtresse, sa conseillère et la mère d’enfants illégitimes. Chez Donizetti, à des lieues de l’Histoire, elle s’entiche d’un novice de monastère, malheureuse de n’être pas épousée par un roi menacé d’excommunication. À Munich, fin 2016, Amélie Niermeyer place ce trio sur un plateau envahit de chaises, cerné de hautes parois translucides et modulables tenant de la châsse et de la serre – Alexander Müller-Elmau signe le décor et Kirsten Dephoff des costumes contemporains. Tout serait judicieux si ce n’est la lourdeur à malmener l’héroïne repoussée, caressée, jetée au sol, cajolée, lynchée de lys… Tout du long, d'ailleurs, la colère s’exprime en dépit du bon sens : celle du prieur Balthazar, bien séculière ; bien improbable celle de Fernand, empoignant un souverain infantile.
Parmi les trois amoureux, Elīna Garanča brille moins par sa diction que par ce mezzo vif et sûr qu’on lui connaît bien [lire nos chroniques du 17 avril et 20 décembre 2015]. Matthew Polenzani (Fernand) offre une conduite vocale mémorable qui allie souplesse, brillance et délicatesse. Roi Roger avant d’incarner Alphonse XI [lire notre chronique du 18 juin 2009], Mariusz Kwiecień séduit à nouveau par la saine vaillance de son baryton. Mika Kares (Balthasar) déçoit pour sa part, basse d’une belle couleur mais à la stabilité fluctuante. Le soprano cristallin d’Elsa Benoit (Inès) et le ténor lumineux de Joshua Owen Mills (Don Gaspar) en font des artistes prometteurs. L’excellent Bayerisches Staatsorchester accompagne nos vedettes et le Chœur maison, entre recueillement monacal et exultation courtisane. Karel Mark Chichon est à sa tête, d’une sensualité chaleureuse et chambriste [lire notre chronique du 2 avril 2015].
LB