Chroniques

par bertrand bolognesi

Gabriel Fauré – Maurice Ravel
Sonate Op.13 n°1 – Sonate – Tzigane

1 CD Lyrinx (2003)
2223
Fauré – Ravel | sonates pour violon et piano

Unique pièce chambriste de Gabriel Fauré écrite en mode majeur, la Sonate pour violon et piano Op.13 est liée à une période de sa vie particulièrement heureuse. Il est alors jeune, amoureux de Marianne Viardot et devient le protégé de Camille Clerc, homme d'affaires mélomane qui le reçoit dans sa villa proche du Havre, au cours des étés 1874 et 1875. L'enthousiasme et les fastes ont su générer une pièce relativement jubilatoire – je dis relativement car rien jamais chez Fauré ne pourra être totalement insouciant. Les quatre mouvements formant cette sonate furent créés le 27 janvier 1877, à la Société Nationale de Musique, par le compositeur au piano et la violoniste Marie Tayau, connaissant déjà un grand succès ce soir-là. L'exécution qu'on pourra entendre sur le disque Lyrinx demeure des plus retenue. Ainsi pourra-t-on dire de l'Allegro molto qu'il contient peut-être une joie discrète, mais qu'il reste fort inquiet. Vadim Tchijik y semble retenir l'élan du piano, nettement plus optimiste ici. L'Andante entretient une douce sérénité, dans une sonorité plus claire au clavier, un brin mélancolique au violon. Les deux jeunes musiciens s'amusent ensuite comme des petits fous pour un Allegro vivo délicieusement excité dont l'humeur se gâte cependant après deux minutes d'une effervescence à bout de souffle, pour accomplir une reprise nerveuse, dans une sorte de jouissance angoissée, Cédric Tiberghien ménageant une sonorité d'une tendre délicatesse à tout le mouvement, sans fléchir jamais. La Sonate Op.13 développe un ton nettement plus tragique que les interprètes servent dans un climat brahmsien tout à fait d'à-propos.

Cet enregistrement se poursuit, comme un programme de récital, par la Sonate pour violon et piano que Maurice Ravel achevait en 1927. Dès le premier mouvement (il ne comporte aucun titre), le violoniste nous emmène dans un univers beaucoup plus mystérieux, le piano laissant entendre certains traits qu'on retrouvera dans L’Enfant et les sortilèges. Du coup, à l'écoute, on ne peut guère se défaire de cette sorte de naïf émerveillement que l'opéra a pu nous donner. Tiberghien y cisèle une discrète féerie. L'andante central est ici tout ironiquement articulé, avec un moelleux un brin surjoué au violon, avec beaucoup d'esprit. Le son que le pianiste obtient de son instrument est tout à fait idéal, à la fois d'une grande douceur, très précis, et sans la moindre emphase, aussi bien dans les aléas de tempo que dans l'appui toujours extrêmement léger de certains rebondissements que d'autres ont souvent balancés avec un brio malvenu. Les Années Folles sont bien là, mais attention : ce sont celles de Ravel, qui pour les pasticher si divinement n'en est pas moins Ravel. Le Perpetuum mobile est ici proprement diabolique, comme un violon peut l'être, surtout lorsque la partition est inventée par un admirateur de Liszt et l'auteur du Gaspard de la nuit...

Enfin, on écoutera Tzigane avec beaucoup de plaisir. Cette rhapsodie pour violon et piano écrite en 1924 qui fait flirter les caractères de musique manouche avec des dissonances déséquilibrantes est interprétée avec beaucoup de retenue. Le problème se pose souvent avec cette œuvre : certains violonistes en font un numéro de cabotinage bohémien, et si leur technique le leur permet, c'est en général très bien, même si ça n'a rien à voir avec Ravel ; d'autres la jouent avec une distance qui refroidit sa charge expressive, plus royaliste que le roi, et c'est souvent très bien aussi, même si le caractère s'en trouve complètement dédramatisé. Entre tradition et modernité, la Tzigane trouve en Vadim Tchijik un interprète mesuré qui parvient à en souligner les deux aspects. Dès son entrée, le piano de Cédric Tiberghien rappelle les sonorités du cymbalum, avant de développer des couleurs savamment orchestrales.

BB