Chroniques

par hervé könig

Gérard Grisey
Les espaces acoustiques

2 CD Kairos (2005)
0012422KAI
Gérard Grisey | Les espaces acoustiques

« Les espaces acoustiques m'apparaissent aujourd'hui comme un grand laboratoire où les techniques spectrales sont appliquées à diverses situations (du solo au grand orchestre) ». C'est ainsi que Gérard Grisey jugeait ce projet qui l'occupa près d'une dizaine d'années, après avoir vu le jour en 1974, à la création de Périodes. Dans le dernier épisode de cette commande de l'ensemble L'Itinéraire, le compositeur demandait aux sept instruments (flûte, clarinette, trombone, violon, alto, violoncelle, contrebasse) de réaliser la fondamentale et les harmoniques d'un mi de trombone, analysé au spectrogramme. Pour aller plus loin dans sa recherche, il écrivit ensuite Partiels (1975) pour dix-huit interprètes, dont nombre de séquences portent la trace de ce qui l'intéresse désormais : la synthèse instrumentale. Pour l'auditeur, les différentes sources sonores fusionnent et disparaissent au profit d'un timbre synthétique totalement inventé.

L'interprétation proposée ici par l'ensemble Asko et le Westdeutscherundfunks Sinfonieorchester Köln enchaîne les six parties qui ont fini de constituer ce vaste cycle des Espaces acoustiques. Chaque pièce élargissant le champ acoustique de la précédente, Grisey se pencha, d'avril à juillet 1976, sur l'écriture d'un solo d'alto qui devait ouvrir le cycle. Prologue (dédié à Gérard Caussé) est essentiellement mélodique. Une cellule unique, jouant sur les hauteurs d'un spectre d'harmoniques, sert d'axe à une sorte de spirale, comme si tout provenait d'elle, y retournait, mais jamais au même niveau.« J'espère être parvenu ici à balbutier ce que je crois être la musique : une dialectique entre le délire et la forme. » On y retrouve l'alto de Garth Knox, dans une approche plutôt spirituelle. Suit une lecture d'une grande profondeur dePériodes, avant que Partiels n'affirme des contrastes soignés dans une infinie richesse de texture et de couleur. Tout en jouant avec les bruits qui viennent immanquablement parasiter l'exécution en concert, l'auteur parvient à en annuler la nuisance jusqu'à un déploiement gigantesque.

Trente-trois musiciens sont nécessaires à la création de Modulations (1976-77), œuvre commandée par l'Ensemble Intercontemporain à l'occasion des soixante-dix ans de Messiaen, dont on entend quelques très discrètes réminiscences. Le matériau, sans cesse en mutation et en mouvement, n'existe plus en soi. Seuls quelques repères sont conservés, afin de nous rendre compte du chemin parcouru. Son titre fait référence aux processus de modulation que la science acoustique a mis à jour – transitoires, bruit blanc, filtrage, etc. Transitoires est justement le nom que porte la cinquième partie du cycle, créée à la Biennale de Venise, en 1981. L'orchestre entier y est mis en valeur, venant radicaliser ce qui était latent précédemment : le temps est dilaté et de véritables polyphonies spectrales envahissent l'espace, jusqu'au retour nu de l'alto. Conclusion arbitraire du cycle comme de l'œuvre précédente (elle ne peut être jouée isolément par les quatre-vingt quatre musiciens), Épilogue verra également le jour à Venise, en 1985. « Les quatre cors reprennent le matériau de Prologueet se superposent au processus de filtrage, puis de désintégration du spectre harmonique de la note mi ».

À la tête des musiciens des deux formations réunies, Stefan Asbury signe une version très différente de celle gravée par Pierre-André Valade et Court-circuit six ans plus tôt (Accord), affirmant des qualités d'énergie et de largeur de vue qui nous incitent aujourd'hui à la saluer d'une Anaclase !

HK