Chroniques

par bertrand bolognesi

Fryderyk Chopin
Valses

1 CD Paraty (2020)
120198
Le pianiste Aimo Pagin joue les dix-huit valses de Fryderyk Chopin

D’emblée cette nouvelle intégrale des Valses de Chopin surprend. Sous les doigts d’Aimo Pagin, la Grande valse brillante en mi bémol majeur Op.18 bénéficie d’une sonorité à la fois profonde, veloutée même, et fort ciselée dans l’aigu, grâce à l’usage d’un instrument Bösendorfer – célèbre manufacture qui participe de ce projet puisqu’en ses locaux, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Vienne, fut effectué l’enregistrement, en février dernier, sous label Paraty. Ici, peu de chose rappellent les gravures auxquelles l’auditeur peut être habitué, tant est présente cette douceur due au médium comme à la patte du pianiste, vraisemblablement attentif à cette couleur particulière, tendresse inouïe qui contraste avec l’impact parfois presque rageur du registre haut. Encore lui doit-on une souplesse d’articulation tant sensible dans le phrasé que dans la liberté prise avec le tempo, voire avec la stricte observance de l’écriture rythmique, au fil des diverses parties de la pièce, à la faveur de l’accentuation d’une scorie harmonique ou de l’appui rubato d’une appoggiature, par exemple – si dans ce répertoire vous recherchez quelque mécanisme horloger, abstenez-vous de suite, ce disque n’est pas pour vous !

La Grande valse brillante en la bémol majeur Op.34 n°1 confirme un art prédateur qui, sans manquer jamais de respect au texte, élit d’abord l’inspiration et l’inventivité. Après la péremptoire introduction, monstrance en faux-col, c’est dans une mélancolie simple que l’interprète inscrit sa lecture, ô combien expressive. Ainsi de l’Op.34 n°2 dont on chercherait en vain le caractère brillant tant est saisissante sa pudeur humble, jusqu’en sa conclusion à peine dite. Ainsi, encore, de l’Op.34 n°3, assurément brillante, elle, avec sa vocalise vivace, rodomontade rompue avec une infinie délicatesse, quand bien même le final sacrifie au numéro de concert. Ainsi, enfin, de la Grande valse en la bémol majeur Op.42 qu’Aimo Pagin infiltre d’un lyrisme exubérant, jusqu’à en faire chanter les traits les plus mécaniques, réalisant ce rêve lisztien d’une virtuosité qui n’en serait plus une.

Finies, les valses brillantes et grandes ;les opus qui s’ensuivent affirment une intimité essentielle, ce qui n’échappe pas au musicien. De l’Opus 64, redécouvrons la fausse modestie en ré bémol majeur n°1, le vague à l’âme en ut # mineur n°2, subtilement respiré, le morose soliloque en la bémol majeur n°3. Un abattement certain gagne la grisaille invaincue de la Valse en la bémol majeur Op.69 n°1, subtilement entonnée, et plus encore la tentation de ritournelleen ré mineur, inaccessible cependant, de l’Op.69 n°2. Aux savoureux énervements liminaires de la Valse en sol bémol majeur Op.70 n°1 répondent les parfums schubertiens d’un meno mosso délicieux, quand la deuxième (en fa mineur) tournoie dans son égarement ornemental et qu’à l’ultime (en ré bémol majeur) il revient d’arrondir tout angle par une maussaderie à demi souriante.

Cinq valses posthumes complètent le recueil. À la belcantiste B.21 succède la sévère B.44, puis la fougueuse et questionneuse B.56, ici, à juste titre, scriabiniène pour le climat général et brahmsienne dans sa partie médiane. Le dépouillement lumineux de la Valse en mi bémol majeur Op.Posth. B.133 – suave bénédiction dans cette version –, fait place à celle en la mineur Op.Posth. B.150 qui conclut dans une modestie bénie. Que demande-t-on à un pianiste, en un temps où tous possèdent de grandes qualités techniques et interprétatives ? Une personnalité hors du commun : c’est justement ce qui sourd de cette fort belle galette. Surtout, ne vous en privez pas !

BB