Chroniques

par laurent bergnach

Franz Schubert
Die schöne Müllerin D795

1 CD Atma (2005)
ACD 2 2315
Franz Schubert | Die schöne Müllerin

Trois ans avant que Schubert aborde une de ses plus célèbres compositions, Wilhelm Müller fait paraître, en octobre 1820, son premier recueil intitulé Soixante-dix sept poèmes trouvés dans les papiers posthumes d'un corniste ambulant, dont les vingt-trois qui composent Die schöne Müllerin. De formation universitaire, Müller (1794-1827) retrouve avec ses personnages trois archétypes du Moyen Age : le chasseur des légendes germaniques, conquérant viril et mystérieux, qui préfère la nature à la compagnie des hommes ; le jeune meunier, réputé moins sauvage et plus délicat en amour ; la fille du meunier, objet (volage) de toutes les attentions. De plus, notre jeune soupirant à l'âme de poète chante la vertu de sa bien-aimée comme le ferait un chevalier au temps de l'amour courtois.

En écartant le prologue et l'épilogue qui encadrent ces poèmes (commentaires d'un narrateur ironique, à la fois colporteur et poète, qui s'amuse d'un sujet aussi rustique), ainsi que trois d'entre eux, Schubert livre à la postérité une histoire toute simple : un jeune meunier romantique quitte son moulin par amour du voyage, et s'éprend de la fille d'un meunier voisin. Il pense avoir gagné un amour réciproque quand la jeune fille lui avoue son intérêt pour un chasseur. Jaloux, rageur, désespéré, l'amoureux met fin à ses jours dans le ruisseau qui, depuis le tout début, est son confident. En écho à différentes thématiques (le ruisseau, le promeneur, la couleur verte, etc.), le compositeur rappelle subtilement de mêmes tournures, annonçant le leitmotiv wagnérien. Musicalement encore, on peut signaler le contraste des styles (quasi folklorique, berceuse, etc.), l'absence de construction en miroir, mais une évolution tonale, entre la première et la dernière mélodie, en phase avec l'initiation amoureuse de notre héros et la variété de ses sentiments.

Dédicacé à son ami le baron Carl von Schönstein, le cycle est publié en 1824. Si l'œuvre n'obtient pas un franc succès, elle n'est pas oubliée non plus puisque l'éditeur Diabelli, en 1830, en propose une nouvelle édition, préparée par Johann Michael Vogl. Comme beaucoup de confrères à l'époque, cet ex-chanteur de l'Opéra de Vienne ornementait ses airs. Loin de l'improvisation, cette méthode reposait au contraire sur une mûre réflexion, visant à sublimer la beauté du matériau de base. Ayant déjà accompagné le baryton au piano (leur rencontre date de 1817), Schubert connaissait cette pratique et ne s'en offusquait pas :« tout ça est à la fois si nouveau et si différent ».

Le ténor Jan Kobow et le pianofortiste Kristian Bezuidenhout ont suivi ce dernier chemin, allant même très loin : « Nous avons cru qu'il était parfaitement justifié d'avoir recours à de subtils changements de tempo si cela pouvait aider à peindre avec plus de justesse de petits univers poétiques. Nous avons cru bon d'ajouter certains ornements improvisés, y compris des arpèges à la partie de piano selon notre goût. Enfin, pour la richesse de ses couleurs et pour ses possibilités d'articulation, nous avons utilisé une copie moderne d'un instrument du début du XIXe siècle ». Si ce défi aux puristes sonne comme une lubie, les deux artistes justifient leurs choix avec moult détails et références dans le livret, au côté de la traduction française des poèmes.

Quoi qu'il en soit, cette collaboration est une bonne surprise. Jan Kobow possède un chant vaillant, nuancé et bien mené, un timbre ferme et souple. S'il est parfois un peu tendu dans les aigus, les harmoniques de ce registre sont riches. Expressif sur les passages rythmés (Der Jäger), il n'hésite pas à contrefaire sa voix pour un résultat plus parlant (Am Feierabend). Très coloré, clair, voire lumineux, l'instrument qui l'accompagne mérite également notre attention.

LB