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Chroniques
Franz Schreker – Ernst Toch
Der Geburtstag der Infantin – Tanz-Suite Op.30
Depuis la fin des années quatre-vingt dix, les compositeurs dégénérés, mis au ban par le nazisme, occupent enfin la place qu'ils méritent dans les programmations et les éditions discographiques. Au sein de ce groupe d'artistes,Franz Schreker est certainement, avec Erik Wolfgang Korngold, celui qui bénéficie de l'attention la plus importante : les productions de son opéra Die Gezeichneten se multiplient, tout comme les enregistrements consacrés à son œuvre. Dans le sillage des grands chefs-d'œuvre que sont ses ouvrages lyriques ou ses pièces pour orchestre, on redécouvre des partitions moins connues (Lieder enregistrés par Franz Schreker pour Arte Nova) ou des versions originales de certaines partitions. Le présent disque EDA appartient à la seconde catégorie.
Le chef d'orchestre Jürgen Bruns et l'ensemble Kammersymphonie de Berlin nous proposent ainsi la première version – pour petit orchestre – de L'Anniversaire de l'Infante, pantomime dansée d'après Oscar Wilde. Cette pièce fut composée en 1908 à l'instigation des sœurs Wiesenthal et programmée dans le cadre d'un art show du célèbre groupe réuni autour du peintre Gustav Klimt – groupe issu d'une scission de la Sécession viennoise dont il ne partageait pas les options commerciales. L'Anniversaire de l'Infante devait être une œuvre d'art totale, démonstrative des talents de cette cellule qui regroupait outre Koloman Moser, Emil Orlik, Josef Hoffmann, Otto Wagner et Alfred Roller. Hautement inspiré, Schreker a écrit une musique fascinante et ensorcelante. Génie de l'orchestration, il y sait associer l'ampleur de l'orchestre à une transparence et une sensualité toute latine. Par rapport à la transcription pour grande formation (créée en 1928 par Wilhelm Mengelberg, puis enregistrée sur un disque Decca intitulé Tanz Grotesk), cette version pour petit ensemble donne encore plus d'éclat au talent du compositeur. Avec une formidable économie de moyen, il fait surgir l'émotion de chaque trait instrumental et de chaque note. L'interprétation est convaincante, même si un Kent Nagano, grand connaisseur de cette musique, irait certainement plus loin dans l'introspection.
La seconde partie du disque est consacrée à la Suite de danse du compositeur autrichien Ernst Toch (1887-1964). Autodidacte total, il reçoit en 1909 le prix Mozart de la ville de Francfort pour une Symphonie de chambre au ton romantique. Cette récompense le décide de cesser ses études de médecine pour perfectionner ses connaissances théoriques. Les années vingt sont pour lui une glorieuse décennie : un contrat avec les éditions Schott le met à l'abri des soucis financiers, tandis que ses œuvres sont programmées dans de nombreuses manifestations, dont le festival de Donaueschingen. L'arrivée des nazis au pouvoir le force à s'exiler aux États-Unis, après un passage en France et en Grande-Bretagne. Il écrit quelques musiques de films, avant de trouver un poste de professeur de composition à l'Université de Californie du sud. Dans les années cinquante, il se lance dans l'écriture de sept ambitieuses symphonies qui peinent à trouver un public, en dépit de l'obtention du prix Pulitzer qui récompense la Troisième en 1967. Déçu par cette incompréhension, il revient, dans les dernières années de sa vie, au style postromantique de ses pièces de jeunesse. La Tanz-Suite Op.30 (1923) est une commande de l'académie de musique de Mannheim pour la classe de la chorégraphe Frieda Ursula. Devant le succès de sa pièce, Toch ajouta deux petits intermezzi entre les différentes parties. Toute aussi fine d'orchestration et d'un grand raffinement des timbres que la partition de Schreker, mais sans le génie dramatique de son compatriote, cette partition flatte l'oreille sans la séduire totalement. Le chef d'orchestre Jürgen Bruns, souple et incisif, tire le maximum de cette musique.
PJT