Chroniques

par laurent bergnach

Francis Poulenc
mélodies

1 CD Saphir Productions (2004)
LVC 001043
Francis Poulenc | mélodies

Francis Poulenc avait un souhait : que son « plus beau titre de gloire » soit d'avoir servi deux poètes aimés par-dessus tout, Paul Éluard et Guillaume Apollinaire. Pour ce moine et voyou, la gravité du premier s'équilibrait avec la fantaisie non dénuée de mélancolie du second. Outre une cantate (Figure Humaine) et un opéra-bouffe (Les Mamelles de Tirésias), chacun d'eux a inspiré au musicien une trentaine de mélodies. Poulenc avait rencontré plusieurs fois l'auteur d'Alcools – à qui ce disque est consacré principalement – et rapporte : « j'ai entendu le son de sa voix, je pense que c'est là un point essentiel pour un musicien qui ne veut pas trahir un poète ; le timbre d'Apollinaire, comme son œuvre, était à la fois mélancolique et joyeux. Il y avait parfois dans sa parole une pointe d'ironie, mais jamais le ton pince-sans-rire d'un Jules Renard ».

Les mélodies qui célèbrent Paris et sa banlieue – alors campagnarde – sont sans doute les plus connues. Allons, plus vite (1938) et Montparnasse (1941-45) citent respectivement le boulevard de Grenelle et Garches ; La Grenouillère (1938) nous emmène au bord de l'eau, sur les pas de Renoir (Le Déjeuner des Canotiers, reproduit en tête de livret) ; Dans le jardin d'Anna (1938) évoque pour Poulenc « une journée de septembre, quelque part en Seine-et-Marne, du côté de Chartrette », tandis que Voyage à Paris (1940) résume la douleur d'être éloigné d'une capitale chérie. Mais Poulenc a également mis en musique des thèmes moins bucoliques, comme Bleuet (1939) – sur un jeune homme qui a « vu la mort en face plus de cent fois », écrit en 1917 – ou encore Un poème (1918), miniature dédiée à Luigi Dallapiccola, à partir d'un texte plein de silence et de vide.

À part Pierre de Ronsard, d'autres contemporains se retrouvent en deuxième partie de programme : Max Jacob, Raymond Radiguet, Colette et Maurice Carême. Il est rare d'entendre La courte paille, ce cycle composé pour Denise Duval à l'attention de son petit garçon, interprété par un homme. David Lefort s'en sort particulièrement bien, sans les aigus tendus auxquels on aurait pu s'attendre.

Le ténor, malgré quelques notes nasalisées ici et là, possède un beau timbre, de l'ampleur et surtout une diction impeccable qui nous permet d'oublier le livret, même pour les mélodies peu familières. Tantôt expressif (Ballet, Vous n'écrivez plus ?), tantôt d'une élégance mélancolique (Rosemonde), ou jouant le jeu du roulement de « r » (Hôtel), il arrive à s'approprier des standards et soutient la comparaison avec de prestigieux aînés. Le pianiste Philippe Guilhon-Herbert mérite également nos compliments pour son accompagnement soigné.

LB