Chroniques

par laurent bergnach

Francesco Cilea
Adriana Lecouvreur | Adrienne Lecouvreur

1 DVD Arthaus Musik (2010)
101 497
Francesco Cilea | Adriana Lecouvreur

Même s'il s'inscrit avec régularité à l'affiche des théâtres internationaux, Adriana Lecouvreur n'est pas un ouvrage tout à fait populaire, ni son créateur des plus connus. Apparenté à l'école vériste, quoique soucieux d'intériorité et de nuances, Francesco Cilea (1866-1950) multiplie les expériences lyriques – Gina (1889), Tilda (1892), L'Arlesiana (1897) – avant de s'intéresser à la pièce en cinq actes d'Eugène Scribe et Ernest Legouvé, créée à Paris en 1849. Celle-ci lui propose un archétype de femme aimante et sincère, doublée d'une humble servante de son art qui trouve sa source dans la réalité.

En effet, la Lecouvreur (1692-1730) fait partie de ces artistes qui ont marqué l'histoire de la scène, notamment pour avoir brisé les clivages sociaux et défendu la diction naturelle plutôt qu'une déclamation de convention. Morte dans des conditions mystérieuses, enterrée dans le plus grand secret, elle trouve en son ancien amant Voltaire un pamphlétaire indigné, porte-parole de milliers d'admirateurs. La rumeur évoque alors le nom d'une rivale vengeresse qui réapparait (mais avec un titre de princesse) sous la plume du librettiste Arturo Colautti : l'épouse du Duc de Bouillon.

Réduite à quatre actes défendus par Angelica Pandolfini et Enrico Caruso, cette histoire de jalousie amoureuse enthousiasme le public du Teatro Lirico de Milan, le 6 novembre 1902 – avant sa version définitive de 1930. On y rencontre une aristocrate délaissée par son mari infidèle, puis abandonnée par un amant qui fréquente désormais le monde des actrices réputées légères, mais surtout un couple uni par l'amour du théâtre : la comédienne qui défend Racine et le régisseur de la Comédie Française Michonnet – lequel se révèle plus présent et, peut-être, plus amoureux que Maurizio.

Filmée l'an passé, cette production turinoise signée Lorenzo Mariani propose des chanteurs engagés, évoluant dans des décors réduits à l'essentiel : Micaela Carosi (rôle-titre aujourd'hui ; Butterfly parisienne en 2011) fait preuve d'onctuosité et de souplesse ; Marcelo Álvarez (Maurizio) jouit d'une belle vaillance et d'un legato idéal ; Alfonso Antoniozzi (Michonnet) possède présence et conviction en plus d'un beau phrasé ; Marianne Cornetti (principessa di Bouillon) séduit par la couleur et le velours de sa voix ; Simone Del Savio (Bouillon) affiche rondeur et fermeté ; etc.

La fosse n'est pas en reste dans ce festin où l'on se régale à peine assis. Sous la conduite de Renato Palumbo, l'Orchestre du Teatro Regio s'avère tout de légèreté et d'élégance, au point que la harpe se détache comme jamais. Il peut également se montrer enjoué – rappelant tout ce que les italiens du XXe siècle doivent au baroque français… dans un juste retour des choses –, mais également émouvant, comme ce poignant prélude de l'acte final.

LB