Chroniques

par bertrand bolognesi

Francesco Cavalli
Statira, principessa di Persia | Statira, princesse de Perse

1 coffret 2 CD Opus 111 / Naïve (2003)
OP 30382
Francesco Cavalli | Statira, principessa di Persia

Depuis plus de quinze ans déjà, Antonio Florio parcourt le monde avec un répertoire toujours surprenant, puisqu'il explore, avec une maestria à nulle autre pareille, l'opéra napolitain des XVIIe et XVIIIe siècles. On lui doit ainsi de très grands moments, tant au concert qu'au disque, et l'on se souviendra d'ouvrages de Vinci, Jommelli, Provenzale ou Latilla avec passion. Il signe chez Opus 111, label pour lequel la Cappella de' Turchini enregistre en exclusivité depuis huit ans, une Statira de Francesco Cavalli de toute beauté, par une lecture particulièrement efficace, soucieuse de l'équilibre instrumental autant que de la cohérence dramaturgique. À ses côtés, des artistes avec lesquels il travaille depuis longtemps : Giuseppe de Vittorio qui campe au disque une vieille nourrice dans la grande tradition des rôles travestis, avec une verve comique subtilement dosée ; le soprano Maria Ercolano tout à fait crédible en Usimano, l'amant éconduit déguisé en suivante pour mieux intriguer, d'un timbre riche et particulièrement dramatique ; ou encore Giuseppe Naviglio, excellente basse ici parfaitement distribuée. L'œuvre s'ouvre sur un récitatif de la Magicienne, confié à Roberta Andalò, tandis que Roberta Invernizzi assume une Statira d'une stupéfiante musicalité dont on admirera la généreuse vocalité.

Cette Statira est le vingt-et-unième opéra de Cavalli, composé après Serse, et créé le 18 janvier 1656 au Teatro San Giovanni e Paolo de Venise, avant de connaître une seconde version pour la création Napolitaine, en février 1666. L'intrigue réunit les ingrédients traditionnels du dramma per musica : Cloridaspe, jeune roi d'Arabie, vainqueur des troupes arméniennes, est blessé en libérant la belle Statira, fille du roi Darius de Perse. Mais une malédiction pèse sur le jeune homme, sans qu'il le sache : son père a tué le père d'une terrible magicienne qui a décidé d'avoir recours aux forces du mal pour venger ce crime. Les choses se compliquent : la longue convalescence de Cloridaspe que soigne Statira fait bientôt naître l'amour entre eux ; la princesse perse est entourée de deux suivantes : Floralba, secrètement amoureuse de Cloridaspe, et Ermosilla. C'est encore trop simple : Ermosilla n'existe pas, et s'appelle en réalité Usimano ; le prince égyptien amoureux de Statira n'a rien trouvé de mieux pour s'approcher de l'objet de ses soupirs. L'histoire pourrait presque paraître racinienne, malgré le travestissement, mais intervient dans ce nœud de passions Nicarco, follement épris d'Ermosilla, qui envoie son valet Vaffrino déclarer sa flamme à la demoiselle ; le pauvre Vaffrino ne dira mot, car face aux charmes de la belle, son cœur est pris. Et pour que rien n'y manquât, le librettiste Giovan Francesco Busenello a imaginé un personnage de vieille nourrice comique, Elissena, à faire chanter par un homme ! Entre un argument seria, qu'alimente une actualité guerrière, et des développements nettement buffa, je vous laisse imaginer ce qu'un tel début peut promettre...

Écrit par le musicologue Dinko Fabris, un texte de présentation apportera les éclaircissements nécessaires au mélomane soucieux de replacer l'œuvre dans ses contextes historique et esthétique. Rappelons peut-être que Cavalli (de son vrai nom Francesco Caletti-Bruni) a écrit plus d'une quarantaine d'opéras, dont les plus célèbres furent La Didone (1641), Il Giasone (1649), Ercole amante (1662). Durant les vingt années qui suivirent la disparition de Claudio Monteverdi, il domina la scène lyrique vénitienne. On pourra assister à la création – qui ne manquera pas d'être excitante ! – de son Eliogabalo de 1668 qui ne fut jamais joué, par René Jacobs en avril prochain, à Bruxelles. Enfin, précisons que l'enregistrement de Statira bénéficie d'une prise de son d'une grande qualité qui force l'écoute en gratifiant l'exécution d'une présence exceptionnelle.

BB