Chroniques

par pierre-jean tribot

Ernest Chausson
Le roi Arthus

1 coffret 3 CD Telarc (2005)
80645
Ernest Chausson | Le roi Arthus

Unique opéra d'Ernest Chausson, Le Roi Arthus a toujours peiné à s'imposer au répertoire des maisons d'opéra. Fruit de dix ans de labeur, cet ouvrage sera présenté à titre posthume, le 30 novembre 1903 à La Monnaie de Bruxelles dans des décors du peintre Fernand Khnopff. Œuvre hybride à cheval entre les thèmes wagnériens, les idées symbolistes et les couleurs impressionnistes, Le Roi Arthus ne cesse d'étonner par la hauteur de son inspiration et sa qualité dramatique. Certains passages, comme le second duo entre Lancelot et Genièvre et le chœur final, comptent parmi les plus grandes réussites de la musique française.

La discographie de la partition se limitait à deux enregistrements : celui d'Armin Jordan avec les forces de Radio France (Erato, 1985) et le Lancelot du regretté Gosta Winbergh, et celui de Marcello Viotti (Koch Schwann, 1996) capté en public lors d'une représentation du Festival de Bregenz. Pour le centenaire de la création, le Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles proposait une production très esthétique, mise en scène par le Canadien Matthew Jocelyn que l'on aimerait retrouver en DVD [lire notre chronique du 26 octobre 2003]. Le Label hifiste américain Telarc, plus connu pour ses enregistrements symphoniques que ses disques lyriques, ne semblait pas le plus légitime pour mener à bien une telle entreprise. Pourtant, le produit se révèle d'un très haut niveau. Premier avantage de cette version : l'Orchestre Symphonique de la BBC dirigé de main de maître par Leon Botstein. Ce chef qui ne nous avait nullement convaincu lors de ses dernières prestations pour le label étasunien (Bruckner et Bartók épouvantables ; Strauss et Hartmann convenables) livre une interprétation sensible, musicale et dramatique. Évitant de wagnériser à outrance le propos, le musicien allège les textures et se montre attentif aux chanteurs. Servi par une prise de son somptueuse, l’orchestre fait un sort à la partition : homogénéité des cordes, galbe des vents, précision des cuivres, cette phalange pourrait donner des leçons de style à bien des orchestres de fosse poussifs.

Dominée par des anglophones, la distribution est très satisfaisante, en dépit de quelques réserves. Distribuer ce type d'ouvrage assez hybride n'est jamais facile et même la production anniversaire bruxelloise péchait par certaines défaillances vocales. Il faut tout de même saluer une prononciation française plus que convenable, défaut qui pourrait discréditer une telle réalisation – évidemment, le Merlin du toujours stylé et musical François Le Roux n'est pas concerné par ce genre de problème. Le jeune Simon O'Neill possède le tempérament et le timbre pour rendre justice au rôle de Lancelot, mais on sent ce chanteur assez mal à l'aise avec la tessiture du rôle. En dépit de quelques duretés dans la voix, Susan Bullock s'impose comme une excellente Genièvre. Présent dans le rôle d'Arthus lors des représentations bruxelloises, le barytonAndrew Schroeder abuse du vibrato, et le timbre n'est pas des plus chaleureux. Les rôles de comparses sont dans l'ensemble bien servis par Daniel Okulitch (Mordred), Garret Sorenson (Lyonnel), Donald Mc Intyre (Allan), Andrew Kennedy (un laboureur), Michel Bundy (un chevalier) et Colin Campbell (un écuyer). Le chœur Apollo Voices de Londres est enthousiaste, bien qu'un peu brouillon.

Il faut aussi saluer l'excellence et l'érudition du livret de présentation que Telarc a traduit en français. En dépit des réserves émises, il est indispensable d'honorer cette initiative si rare et inattendue en ces temps de disette d'intégrales opératiques. Il est délicat de départager les différents enregistrements de cette œuvre, ce coffret se hisse au même niveau que les versions Jordan et Viotti qui, elles aussi, ont aussi leurs qualités et leurs défauts.

PJT