Chroniques

par bertrand bolognesi

Ernö von Dohnányi – Mihály Mosonyi
Sextuor en si bémol majeur – Sextuor en ut mineur

1 CD Hungaroton (2006)
HDC 32300
Dohnányi – Mosonyi | sextuors à cordes

Avec ce disque, les membres du Budapest Szextett nous plonge dans la musique de deux maîtres hongrois nés à près de soixante années d'écart à Pozsöny – l'actuelle Bratislava, alors en territoire autrichien. Si Dohnányi est plus proche de nous, dans le temps comme dans la connaissance que nous avons de son œuvre, Mihály Mosonyi nous est moins familier.

Né en 1815, il apprit brillamment le violon, la contrebasse et l'orgue, autant d'atouts qui favoriseraient sa maîtrise des cordes et de la polyphonie – laquelle sera mise au service d'une première émergence d'un style national hongrois, aux cotés d'Erkel et d'Abrányi, avant la génération de Bartók et Kodály. À vingt-cinq ans, il compose ce Sextuor en ut mineur, avant que de livrer au public des opéras, des messes et deux symphonies, tout en prodiguant des leçons aux jeunes gens de l'aristocratie budapestoise et en assurant une activité critique et théorique pour le Zenészeti Lapok, le premier journal musical hongrois.

Profondément marqué par l'école allemande, Mosonyi parvint à mêler les rigueurs de cette influence aux charmes d'une inspiration populaire. L'Allegro agitato prend naissance à partir d'un motif assez succinct, un rien hargneux, regardé de plusieurs points de vue, et dont naîtra un vrai thème tendre, simple et renfermant d'innombrables possibilités, qui formera des entrelacs. Ici, la richesse n'est donc pas dans le matériau de base mais entièrement dans le traitement qu'il subit. On retrouve l'âpreté théâtrale du Beethoven symphoniste dans le final du mouvement. Encore plus nettement orchestral, l'Adagio suivant s'inscrit dans l'héritage direct du classicisme viennois. La réalisation présentée ici est solidement ancrée dans la vibration, soulignant magnifiquement la volubilité de la partie de violon qui finit par contaminer ses partenaires. La variante (deuxième thème, dérivé) est menée dans une sorte de dignité qui survole, dans un amusement un peu las. C'est dans le Scherzo que l'on rencontre la veine populaire de Mosonyi ; dans cette inquiète tournerie de vièle à roue dont la sonorité est exquisément précarisée, fête presque malsaine qui parviendra finalement à s'éclairer, l'on croise bien sûr Schubert, mais également Mahler, précisé- ment dans la brutale interruption du macabre ostinato. L'ultime épisode de cette demi-heure de Sextuor affirme une théâtralité qui s'épanouit en un romantisme évident.

En 1894, Ernö von Dohnányi tente le concours d'entrée de l'Académie Liszt de Budapest ; il a à dix-sept ans, compte déjà plusieurs opus à son actif, dont trois quatuors à cordes. L'année précédente, il achevait son Sextuor en si bémol majeur avec lequel il se présente au jury de la prestigieuse institution qui s'empressait de le compter parmi ses élèves. Insatisfait, Dohnányi réviserait à plusieurs reprises cette partition, jouée ici dans sa version de 1896, celle qui fut créée en 1900 demeurant aujourd'hui égarée. À la brève et grave introduction du premier mouvement succède un travail de thème d'une surprenante urgence que les interprètes articulent dans un calme lyrisme. Dans des échanges attentifs d'une fraîcheur gentiment raffinée, une dynamique jamais chaotique, on perçoit cette logorrhée brahmsienne qui hantera en grande partie toute la production de l'auteur. À l'avantage d'une amorce fort élégante du fugato central, cette exécution ajoute celui d'un rendu exactement fiable de l'indication du mouvement, soit Allegro ma tranquillo, tant dans le choix du tempo que dans le caractère général. En revanche, le Scherzo aurait gagné à être engagé plusvivace ; il manque de cette tonicité un rien nerveuse qui aurait magnifié sa belle phrase élégiaque. Au développement plus mélancolique, les artistes ménagent une fort belle pâte grave où les pizz' prennent une remarquable profondeur. L'Adagio suivant révèle quelques trouvailles dans la modulation, dans une tendre sérénité qui n'exclue pas un doux lyrisme. L'Animato final prend des atours presque martiaux, dans une joie à grosses joues rouges, pourrait-on dire !

Outre une approche soignée, gracieuse et pertinente, cet enregistrement brille par l'équilibre précieux régnant entre les six instruments. C'est une chose particulièrement difficile à réaliser, redoutablement exigeante pour l'écriture comme pour l'exécution.

BB