Chroniques

par pierre brévignon

Erik Satie
pièces pour piano

1 CD Zig-Zag Territoires (2008)
ZZT 080901
Erik Satie | pièces pour piano

Ancienne élève de Bruno Rigutto et collectionneuse d'instruments à clavier français historiques, Claire Chevallier s'est fait remarquer voilà deux ans avec un étrange album Ravel « sur instruments d'époque » (sic) publié sous la même étiquette zébrée de Zig-Zag Territoires. Le Concerto pour la main gauche qu'elle y interprétait, accompagnée par l'ensemble Anima Eterna de Jos van Immerseel, révélait une verdeur et un rebond nouveaux, sans qu'on sache au juste quelle part attribuer dans cette redécouverte à son piano Érard 1905. Avec cette anthologie Satie jouée sur le même instrument, point de sonorités fruitées, on est davantage dans le feutre et le velours – deux tissus qui, on le sait, prennent facilement la poussière.

Les amateurs de Satie fantasque ettongue-in-cheek en seront pour leurs frais : le programme défendu par Claire Chevallier s'inscrit entièrement dans la veine « ésoterik » du maître d'Arcueil, depuis les œuvres rosicruciennes inspirées par le sâr Péladan jusqu'au Prélude héroïque destiné à « l'Église métropolitaine d'Art et de Jésus conducteur » (culte dont Satie était à la fois l'inventeur, l'unique prêtre et l'unique disciple). Dans ce contexte mystique et solennel, les quatre Ogives et les tubes que sont les Gymnopédies et les Gnossiennes prennent une coloration moins mélancolique ou nostalgique qu'austère, pour ne pas dire rébarbative.

Car à trop vouloir nous faire entendre le beau timbre de bronze de son Érard, à trop laisser ses résonances investir l'espace entre les notes, Claire Chevallier livre une interprétation bizarrement désarticulée, d'une lenteur affectée, et distend la ligne du chant comme une musicienne pointilliste qui aurait oublié les vertiges de la courbe. Sous ses doigts, l'exotisme byzantino-médiéval des Sonneries de la Rose+Croix ou des Ogives s'éteint dans un monochrome où l'oreille s'impatiente ; les Gymnopédies et Gnossiennes subissent le joug d'une pesanteur hors de propos ; les miniatures ogivales se suivent et se ressemblent, nobles mais tristement indifférenciées. Seuls les trois Préludes au fils des étoiles semblent s'accommoder de cette lecture déliquescente, étrange ballet hiératique où chaque sonorité disséquée dessine un paysage lunaire, enfin intrigant.

Ces partitions secrètes recèlent pourtant des charmes entêtants, qu'ont su nous révéler en leur temps un Reinbert de Leeuw (Philips), un Aldo Ciccolini (EMI) ou un Jean-Joël Barbier (Accord). Quant aux Gymnopédies et aux Gnossiennes, Marcela Roggeri (Transart) en a récemment donné une lecture pleine de panache et d'élégance.

PB