Chroniques

par bertrand bolognesi

Edgar Varèse
Amériques – Arcana – Déserts – Ionisation

1 CD Deutsche Grammophon (2001)
471 137-2
Edgar Varèse | œuvres pour orchestre

En 1977, le New York Philharmonic enregistrait sous la direction de Pierre Boulez – son chef jusqu'à la fin de l'année – un programme Varèse pour la firme CBS que proposerait de nouveau Sony sur support compact en 1990/95. Cette version restait à ce jour une référence discographique. Kent Nagano en avait tenté la redite avec Radio France il y a quelques années pour un résultat honorable, et Ricardo Chailly tout récemment pour Decca avec un son très capiteux et parfois étonnement lyrique, au tactus fantaisiste. Varèse avouait, à l'encontre de Messiaen à la même époque, détester la campagne et s'inspirer directement des mécaniques, des bruits urbains, des moteurs, des sirènes, des marteaux-pilons, des autos, des usines, etc. Aussi, la première version boulézienne d’Ionisation rendait-elle parfaitement hommage à ce credo.

Aujourd'hui, la firme allemande Deutsche Grammophon propose des enregistrements de quatre de ces œuvres effectuées fin 1995 et 1996 par le Chicago Symphonie Orchestra sous la direction d'un Boulez que quelques années de plus dans la pratique de son activité de chef mais peut-être aussi de réflexion sur la musique en général et son interprétation en particulier ont assoupli. Le son est moins dur tout en restant fidèle à l'intelligibilité, à l'inestimable clarté qui firent la réputation des lectures bouléziennes. Il est surprenant d'entendre maintenant dans Ionisation autant l'empreinte du passé que les germes de l'avenir. Cette remarque peut s'appliquer à l'ensemble du programme. Il y a un peu plus de vingt ans, ces pièces nous étaient présentées comme des portes vers la musique d'alors. Cela reste vrai, mais avec l'apport des expériences précédentes, ce qui nous permet de peut-être mieux situer le travail de Varèse dans l'histoire de la musique, pas uniquement celle du XXe siècle. De même pour Arcana, dont on perçoit plus intimement l'empreinte stravinskienne. Pour Amériques dont la première version semble mécanique avec son final martelé de plus en plus tendu, nous goûtons aujourd'hui un ambitus de nuances beaucoup plus riche et une nouvelle respiration du temps musical qui aère, en quelque sorte, et par là-même en redynamise le déchaînement ; pas d'exagération ni de lyrisme, mais un souffle plus libre qui amène un nouvel enthousiasme à l'écoute de l'œuvre.

Avouons qu'Arcana, Ionisation, Amériques gagnent à être entendues par l'Orchestre de Chicago qui peut y faire briller sa grande qualité : celle de posséder les meilleurs cuivres à ce jour. La perfection et l'énergie de ce pupitre sont ahurissantes. La nouvelle version de Déserts dans ce disque se démarque de celle gravée par l'Ensemble Intercontemporain et son fondateur en 1984 par un espace sonore plus vaste, légèrement réverbéré, et une minute de plus dans son déroulement. On y trouvera une calme gravité, mais elle garde ce même caractère de reconnaissance de Boulez dans l'épure de Varèse ; on y entend très clairement la génération de Darmstadt. Personnellement, je préfère la version de l'EIC qu'on pourra trouver plus crue, plus sèche, mais aussi plus simple.

BB