Chroniques

par bertrand bolognesi

Dmitri Chostakovitch
pièces pour piano

1 CD Naxos (2003)
8.555781
Le pianiste Konstantin Scherbakov joue Dmitri Chostakovitch

Indéniablement, les Vingt-quatre préludes Op.87 dominent toute la musique pour piano seul de Dmitri Chostakovitch. Il les composa en 1950. Moins célèbres, celles de l'Opus 34, en même nombre, furent écrits dans l'ordre de leur publication, durant l'hiver 1932-33, à raison d'un prélude par jour, aux premiers temps du travail, puis espacés entre le 30 décembre et le 2 mars. Le musicien, après avoir été éloigné de son instrument de prédilection durant toute la période d'écriture de l'opéra Lady Macbeth du district de Mzensk, avait réellement un besoin vital de retrouver les touches noir et blanc. Si un certain désir de choquer par des formules aphoristiques volontairement décousues domina l'impulsion de départ, Chostakovitch se laissa envahir peu à peu par une volonté de distraire. Sans revenir à une forme conventionnelle, il y favorisa les contrastes astucieux plutôt que de recourir à de violentes juxtapositions. Même si ces pièces suivent le même ordre tonal que les vingt-huit Préludes de Chopin, on est donc ici plus près de l'univers de Prokofiev. Le pianiste russe Konstantin Scherbakov, né en Sibérie, débute comme soliste à onze ans, dans le Premier Concerto de Beethoven. Formé au Conservatoire de Moscou, vainqueur du Premier Concours Rachmaninov à Moscou en 1983, il démarre une carrière internationale en 1990, au Festival de Musique de Chambre d'Asolo où il donna en quatre récitals l'intégrale de l'œuvre pour piano de Rachmaninov. Sviatoslav Richter, enthousiaste, salue le talent de ce jeune confrère. Il a enregistré des compositeurs aussi variés que Bach, Strauss, Medtner, Respighi, Godowsky et Liszt, et a gravé les Préludes Op.34 de Chostakovitch pour Naxos. Si Olli Mustonen a nettement tiré ces pièces vers Bach, Tatiana Nikolaïeva les avait fort justement apparentées à la musque de Prokofiev. Aujourd'hui, le version de Scherbakov est moins radicale, et tente plutôt de réconcilier ces pages avec un parfum plus rêveur. Par un travail de nuances d'une délicatesse inattendue, il y mêle un peu de Scriabine, ce qui pourra sembler précieux et maniéré à certains. Ce disque demande donc que l'on s'affranchisse d'anciennes versions. Il n'est ni mieux ni moins bien, mais extrêmement personnel, tout à fait différent, et invite à renouveler son écoute.

Composées au printemps 1922, les Trois Danses Fantastiques Op.5 furent longtemps la pièce la plus jouée du jeune compositeur. Lui-même, après l'avoir créée à Moscou le 20 mars 1925, la donna en de nombreuses occasions. Le pétillement de son esprit musical est présent dans cette courte succession d'un morceau espiègle, d'une valse et d'une polka. Les Aphorismes Op. 13 sont le résultat de différentes expérimentations menées entre le 25 février et le 7 avril 1927. Sur les conseils du futur dédicataire de l'œuvre, le compositeur et théoricien Boleslav Yavorsky, Chostakovitch renonce au titre de Suite. En effet, on est loin de tout équilibre classique ici, et les titres ironiques ne sont pas à prendre au pied de la lettre, comme cette Marche Funèbre dénuée de gravité. Enfin, la Sonate n°1 Op.12 fut composée durant septembre et octobre 1926. Le sous-titre Octobre, prévu à l'origine, servi en fait à la Seconde Symphonie. Un conflit sous-jacent anime l'œuvre qui dès l'ouverture voit s'opposer la dissonance de figures tonales à un mode d'Ut majeur contrarié. Ici, Konstantin Scherbakov s'avère nettement plus percussif, et rejoint Prokofiev, bien sûr, mais aussi Protopopov ou Mossolov.

BB