Recherche
Chroniques
Dmitri Chostakovitch
pièces pour piano
On a beaucoup glosé sur les œuvres musicales russes dites de guerre, confondant bien souvent les conflits domestiques privés et ceux touchant le plus grand nombre, ou assimilant pendant la guerre à de guerre, le premier terme précisant une circonstance historique parmi d'autres tandis que le second indique une volonté spécifique de l'artiste de s'exprimer sur cette circonstance. Après la 5ème Symphonie de Chtcherbatchev et la 22ème de Miaskovski, Chostakovitch écrit sa 2ème Sonate pour piano durant une convalescence imposée par le typhus, au printemps 1943. Leningrad est assiégé depuis bientôt deux ans, un état de fait qui forcément joua sur l'inspiration du compositeur. Pourtant, si sa 7ème Symphonie, créée quelques mois plus tôt, ne saurait être considérée indépendamment du terrible épisode que vécut la ville (qui lui donna son nom) du 8 septembre 1941 au 27 janvier 1944, cette nouvelle œuvre s'avère principalement introspective. De fait, la fatigue due à la maladie rapprocherait plus précisément le musicien de ses difficiles treize dernières années, passées en majeure partie sur des lits d'hôpitaux et, partant de cette remarque, on ne s'étonnera pas de trouver dans le second mouvement l'amorce de cette saisissante nudité de la Sonate pour alto et piano Op.147, son ultime page (1975). Tandis que Khatchatourian achève son épique 2ème Symphonie qu'il dédie à l'Armée Rouge, que Khrennikov n'en finit plus d'étirer l'écriture de sa Seconde qui masquera la Symphonie en mi majeur de Mossolov et la Seconde de Popov, Chostakovitch s'octroie donc une respiration plus intime avec cette Sonate Op.61 qu'il crée lui-même en juin 1943, un mois avant de rédiger en neuf semaines sa 8ème Symphonie dite Stalingrad – en l'honneur de la victoire remportée le 2 février 1943 par l'armée russe contre l'invraisemblable offensive que les armées allemande, roumaine et italienne avaient entreprise le 13 septembre 1942 contre la plus importante cité industrielle soviétique, et en hommage aux quelques deux cents mille soldats qu'elle y perdit –, résolument de guerre.
Après des études brillantes auprès de grands maîtres, tels Bachkirov ou Nebolsin, la jeune pianiste bulgare Plamena Mangova suit un post-graduat de piano à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth de Belgique, sous la direction d'Abdel Rahman El Bacha, depuis l'automne 2004. Elle livre au disque une fort belle interprétation de la Sonate Op.61 n°2 de Chostakovitch, s'ouvrant dans un Allegretto qu'elle rend fluide et où elle use d'une main gauche farouche qui sait aussi chanter. On notera l'intéressante demi-teinte accordée à la variation, de même que le relief obtenue en dessinant précisément les divers plans de l'écriture jusqu'à presque orchestrer la partition. Au grand souffle dont elle nourrit ce premier mouvement d'un Chostakovitch déjà largement sarcastique qui utilise ici les conventions pianistiques pour les détourner plus sûrement du chemin attendu, succède l'étrange lassitude figée du Largo central qui tient l'écoute en haleine, en un temps comme arrêté où perce discrètement l'influence d'un jazz mou (rappelons que le compositeur orchestra ses Suites de jazz en 1934 et 1938). Survient alors ce fabuleux exercice de style où Chostakovitch parvient à dépasser les contraintes qu'il s'y fixe pour magnifier le matériau choisi. La prouesse technique de Mangova demeure des plus concluantes et lui autorise une approche imaginative des copieuses variations de ce mouvement redoutable où impressionnent vélocité et précision. Pour finir, les réminiscences du Premier mouvement sont ciselées dans une nouvelle urgence.
Dix ans plus tôt, entre l'acceptation de son opéra Lady Macbeth de Mzensk par le Théâtre Mali de Saint-Pétersbourg et sa création de janvier 1934 (le 22 au Mali et le 24 au Théâtre Némirovitch-Dantchenko de Moscou dans une autre production), Chostakovitch conçoit les Vingt-quatre Préludes Op.34 où il se montre soucieux d'innover sans rompre avec le passé, comme en témoigne la référence à Chopin. Dans ce recueil, Plamena Mangova convainc moins : la clarté de sa sonorité y paraît trop livrée, les pages méditatives ne sont guère habitées et l'on aimerait goûter une percussivité (notamment dans le Prélude n°20) moins superficielle mais réellement violente. On saluera toutefois la grande précision de sa lecture, un certain lyrisme (Prélude n°12), de l'esprit (15ème et 24ème Prélude) et principalement un 22ème Prélude dont l'excellence interprétative fait de l'ombre à ses voisins.
BB