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Chroniques
Deux chorégraphies de Roland Petit
La Dame de Pique – Passacaille
Dansé sur la Symphonie n°6 « Pathétique » de Tchaïkovski, le ballet La Dame de Pique, issu de la nouvelle de Pouchkine, fut confié à Roland Petit par le Théâtre Bolchoï de Moscou en 2001. Cette captation, datant de mai 2005, met en avant une réelle ambiguïté relationnelle entre les deux personnages centraux du ballet.
Hermann s'avance vers la table de jeu et suit le déroulement. Fantomatique, une vieille dame apparaît, mise sur trois cartes, remporte la partie sans emporter l'argent. Un peu plus tard, dans une salle de bal, alors que les joueurs ont rejoint les danseurs, Hermann ne quitte jamais le tapis du regard. Il aimerait trouver le moyen de gagner pour assurer son avenir, mais seule la Comtesse connaît le secret des cartes. Cette dernière apparaît accompagnée de Lisa, une jeune fille orpheline. Fasciné, Hermann tente de l'approcher et rêve qu'il danse avec elle. La jeune femme, très attirée, accepte à son tour une danse et en profite pour lui remettre les clés de sa chambre. Mais Hermann s'introduit volontairement dans celle de la vieille femme qui surgit avec quelques années de moins. Après avoir renvoyé ses servantes, elle reste seule devant le miroir et se fige lorsqu'elle s'aperçoit que l'homme est dans la pièce. Prenant son visage dans les mains, il l'interroge sur le secret qu'elle détient ; mais elle ne révèle rien. Il insiste, la bouscule, brandit un pistolet, la menace… et, tandis qu'elle s'écroule de peur, s'enfuit. De retour chez lui, ombre de lui-même, il retrouve la Comtesse venant lui apporter trois cartes ; il manque la fameuse Dame de Pique. Hermann sort jouer. La Dame de Pique fait partie du tirage. Il est terrassé.
Partition culte en Russie, la Symphonie n°6 de Tchaïkovski participe grandement à la réussite du ballet. Elle offre beaucoup de profondeur aux pas-de-deux et variations et permet aux danseurs une belle liberté d'interprétation. À certains moments où le rythme s'intensifie, elle suscite d'autant plus leurs capacités techniques. Il est difficile, en effet, pour Nikolaï Tsiskaridzé, de ne réaliser que deux tours en l'air, lorsque le tempo en implique un troisième ! Nikolaï Tsiskaridzé et Ilze Liepa sont tous deux extraordinaires dans leurs rôles, déployant une capacité théâtrale qui va bien au delà des mots. Aussi, la chorégraphie de Roland Petit offre-t-elle à de multiples reprises l'occasion de se surpasser, en multipliant l'enchaînement de pas, ou en effectuant, par exemple, un grand jeté pour traverser un lit ! Ceci demande une forte concentration, mais surtout beaucoup de confiance en soi. Tsikaridzé a réellement su être à la hauteur du rôle. Pour Liepa, brillante danseuse, l'une des difficultés principales consistait à interpréter une femme de quatre-vingt huit ans, colonne vertébrale de l'intrigue. Très longiligne, aux courbes élégantes, Ilze Liepa offre au spectateur un travail d'orfèvre, en partie grâce à sa physionomie qu'elle prête parfaitement à l'incarnation.Les décors sont signés Jean-Michel Wilmotte et laissent penser à quelques reprises à ceux de Clavigo. Un DVD à voir et à revoir ; il y a peu de chances de s'en lasser !
En seconde partie de programme, nous retrouvons Passacaille, d’après l’œuvre d’Anton Webern, qui fut très apprécié lors de sa création à l’Opéra de Paris, en 1994. Heureux d’avoir pu le présenter à Moscou, Roland Petit rappelle de ce dont il s’agit : « un ballet très complexe, difficile pour le chorégraphe comme pour les interprètes. Il n'y a ni intrigue, ni décors, ni rythme dans la musique pour guider les danseurs. En même temps, Passacaille exige une technique de haute volée de par la précision et la pureté de l'exécution qui sont au coeur même de la chorégraphie. »
MS