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Chroniques
David Christoffel
Ouvrez la tête (ma thèse sur Satie)
Compositeur et docteur en musicologie, David Christoffel est spécialiste des rapports entre poésie et musique. Sa thèse porte d’ailleurs comme intitulé Les mentions verbales sur les partitions pour piano seul d’Érik Satie, lesquelles apparaissent aussi comme des espaces poétiques. D’interlocuteurs qui, à l’époque du projet, dénigraient avec un mépris jamais justifié les compétences d’un précurseur reconnu (dadaïsme, minimalisme, absurde, etc.), il écrit avec un humour amer : « […] ils admettaient que l’importance de Satie dans l’avant-garde était sans doute compatible avec l’idée que sa musique est sans valeur. Arrivé à ce point de la discussion, il était donc évident que leur définition de la valeur musicale avait dû être conçue exprès pour en exclure Satie ».
Particulièrement attaché au clavier, le natif d’Honfleur (1866-1925) grandit dans une fin de siècle qui brasse la remise à jour des génies baroques, les pots-pourris d’ouvrages en vogue et une chape romantique qui fait du pianiste un sujet de déclamation proche du chanteur d’opéra. « Prescriptives tout en ayant une charge descriptive évidente », nombre d’indications satiennes visent à « ruiner cette prétention à l’expression qui n’aboutit qu’à l’enflure » (Bredel), trop souvent décrites comme simplement facétieuses. Pour Christoffel, tout au contraire, elles sont assez ambivalentes pour évoquer un poète symboliste, voire un philosophe plutôt qu’un ironiste – « Très sincèrement silencieux », « Avec un grand oubli du présent », « Postulez en vous-même », etc.
En effet, par des mots cocasses ou obscurs, le créateur de Socrate [lire notre critique du CD] invite à se libérer des habitudes et crispations du Conservatoire, favorisant moins l’approche de la partition dans un sens fonctionnel (conditions d’exécution idéales) que celle d’une pièce littéraire sans barre de mesure où la tête est mobilisée autant que les doigts. Satie transforme le concert en espace théâtral avec des pièces riches en intertextualité, telle Trois valses distinguées du Précieux dégoûté (édité en 1916) pour laquelle « ces mentions semblent insinuer que le pianiste doit résolument incarner la narration ». Avec un but ultime : évincer le protocole de production aristocratique qui gangrène la musique de « rasoireries ».
Plus mystique que révolutionnaire, le créateur « médiéval et doux » (Debussy) livre donc des formules qui ne sont pas strictement ornementales, comme le démontre David Christoffel avec conviction et talent, citant Dahlhaus et Cendrars, Jankélévitch et Cocteau. Elles sont des contrepoints aux allures de redressement moral, qui visent à remettre en question la tradition de part et d’autre de la rampe – « décisives pour saisir la musique de Satie, indispensables pour comprendre dans quel horizon d’écoute elles la situent ».
LB