Chroniques

par laurent bergnach

Claudio Monteverdi
L’incoronazione di Poppea | Le couronnement de Poppée

1 DVD Arthaus Musik (2013)
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Claudio Monteverdi | L’incoronazione di Poppea

En 1613, après la création mantouane d’Orfeo (1607) et d’Arianna (1608) – dont il ne subsiste qu’un lamento –, Claudio Monteverdi (1567-1643) se rend à Venise pour y occuper, jusqu’à sa mort, le poste de maître de chapelle à la Basilique San Marco confié avant lui à Adrian Willaert, Andrea et Giovanni Gabrieli. Occupé avant tout à écrire une musique sacrée, il ne néglige pas l’opéra pour autant puisqu’il s’attelle à des ouvrages tels Andromeda (1620), La finta pazza Licorie (1627), Mercurio e Marte (1628), Proserpina rapita (1630) ou Le nozze d’Enea con Lavinia (1641), malheureusement perdus, eux aussi. Peut-être les retrouvera-t-on un jour, de même qu’on retrouva deux sources à L’incoronazione di Poppea – à Venise en 1888, puis à Naples en 1930 –, l’opéra en un prologue et trois actes créé lors du Carnaval de 1643 au Teatro Santi Giovanni e Paolo (Venise) ?

Le livret en est conçu par l’avocat et ambassadeur Giovanni Francesco Busenello qui se consacre en dilettante à la littérature et vient d’offrir le texte de La Didone (1641) à Francesco Cavalli [lire notre critique du DVD]. Délaissant l’inspiration mythologique, il puise dans le Livre XIV des Annales du sénateur romain Tacite, historien à l’objectivité douteuse mais le « plus grand peintre de l’Antiquité », comme le nomme Racine. Dans le fond comme dans la forme – une Venise délétère qui transparaît sous la pompe néronienne, peuplée d’immoraux finement caractérisés –, il livre un modèle de perfection dramatique non seulement à l’usage de Monteverdi qui, proche d’une conception platonicienne engageant l’art à susciter les passions, donnait la supériorité au texte (« la musique doit se mettre au service de la parole d’où ont surgi les rythmes »), mais aussi pour les générations à venir. Dommage qu’un sous-titrage étourdi en déforme la beauté

Souvent associé à l’opéra italien donné au Schwetzinger Festspiele, Michael Hampe – Il matrimonio segreto (Domenico Cimarosa) [lire notre critique du DVD], Il signor Bruschino (Gioacchino Rossini) [lire notre critique du DVD], etc. – va ici à l’essentiel : à savoir mettre en scène les tensions amoureuses et érotiques qui conditionnent la conduite de tous à l’exception du stoïcien Sénèque, entre menace (le sol bombé évoque un globe dominé par une Rome guerrière) et fantaisie (les nourrices travesties).

En 1993, lors d’une captation qui suivait d’une dizaine d’années celle impliquant Raymond Leppard et le London Philharmonic Orchestra à Glyndebourne, nous n’étions plus aux « premiers pas [du] renouveau baroque » [lire notre critique du DVD]. René Jacobs offre un arrangement souple, noble et ciselé, à la tête du Concerto Köln, tandis que les chanteurs commencent à « saisir le truc ». Malheureusement, la distribution déçoit en partie : Patricia Schuman (Poppea) miaule avec acidité, l’Ottone expressif de Jeffrey Gall souffre d’un placement aléatoire, Harry Peeters offre des aigus agressifs à un Seneca pourtant nuancé, l’onctueux Curtis Rayam (Arnalta) est parfois instable tandis que l’émission nasale de Dominique Visse (Nourrice) se reconnaît entre toutes. Les premiers rôles infaillibles se résument donc à Richard Croft (Nerone) rond, sonore et sain, Kathleen Kuhlmann (Ottavia) au chant ample et évident, ainsi qu’à Darla Brooks (Drusilla), légère et juvénile.

LB