Chroniques

par laurent bergnach

Claudio Monteverdi
Il ritorno d’Ulisse in patria | Le retour d’Ulysse dans sa patrie

1 DVD Virgin classics (2003)
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Il ritorno d’Ulisse in patria, opéra de Monteverdi

Pour Giacomo Badoaro, gentilhomme helléniste et poète amateur, nul doute que le maestro di cappella Claudio Monteverdi serait intéressé par un livret d'opéra tiré du poème épique d'Homère, L'Odyssée... Inspiré des Chants XIII à XXIII, Il ritorno d'Ulisse in patria vit donc le jour à Venise en février 1641 et rencontra un vif succès. Cette œuvre est emblématique : elle est une des premières de l'histoire de l'opéra, et surtout de celles qui dépassèrent le cercle de l'aristocratie pour toucher le spectateur d'un théâtre public (Teatro SS Giovanni e Paolo). Pour Badoaro, Monteverdi « fit réellement connaître au monde le véritable esprit de la musique de théâtre, encore mal compris des compositeurs modernes ».

Une allégorie sert de Prologue : l'Humaine Fragilité, homme nu près d'une flamme tel un Prométhée avant la chute, se lamente de la condition de l'homme, en proie aux agacements d'aveugles et de boiteux, soit le Temps, la Fortune et l'Amour. Les Actes I et II de l'opéra nous livre une trame familière : tandis que Penelope, entourée de prétendants au trône, attend le retour d'Ulisse, ce dernier arrive en terre d'Ithaque. Minerve l'accueille, lui assure son soutien et le transforme en vieillard pour qu'il passe inaperçu. Ulisse rencontre ensuite le porcher Eumete (il lui annonce que son maître est vivant), Telemaco (à qui il dit la vérité), la vieille nourrice Euryclea (qui reconnaît une ancienne blessure mais doit garder le silence). Vient ensuite le fameux défi à bander l'arc d'Ulisse, au terme duquel Penelope, inspirée par Minerva, a promis sa main. Le seul gagnant est Ulisse qui transperce alors les trois prétendants. Dans l'Acte III, nous assistons à une réunion divine qui mettra fin à la colère de Nettuno (Neptune) contre son souffre-douleur mais surtout à la conversion de Penelope qui ne voit qu'un imposteur ou une tromperie divine dans cet homme qu'on semble lui rendre. Ulisse donne une preuve de sa connaissance de la chambre conjugale et Penelope retrouve enfin la paix.

Vêtue de noir comme une veuve typique du sud, Marijana Mijanovic offre au personnage de Penelope sa voix tragique et sa beauté froide. Krešimir Špicer, ténor aux mediums et graves corsés, est un Ulisse crédible et émouvant, aux aigus un peu verts mais au chant très nuancé. Élégant, Cyril Auvity est Telemaco, dont on signalera le beau duo de retrouvailles, tout en douceur, avec son père (II, 2). Parmi les Dieux, Olga Pitarch (Minerva) a une voix agile qu'elle agrémente de beaux ornements ; Paul-Henry Vila (Nettuno) affirme des graves sonores. Les prétendants réalisent un très beau trio, dans une écriture madrigaliste, mais c'est Andreas Gisler (Anfinomo) qui s'en sort le mieux, avec son timbre clair et un art appréciable de la nuance. Enfin, les personnages populaires : Katalin Károlyi (la jeune servante Melanto), au chant très égal, possède un timbre frais et de beaux graves ; Zachary Stains (Eurimaco, son amoureux), malgré quelques notes tenues instables et des ornements imprécis, a pour lui un timbre brillant et des aigus extrêmement doux ; Joseph Cornwell (Eumete) et Robert Burt (Irus) sont tous deux sonores, efficaces et attachants.

Recommandons aux curieux et aux amateurs Il Ritorno d'Ulisse in patria : cette production du Festival d'Aix-en-Provence (2000) bénéficie de la mise en scène inventive et chaleureuse – avec trois fois rien ! Deux murs jaunes côté jardin et côté cour, un fond de scène bleu outremer, du sable ocre au sol... – d'Adrian Noble, et de la direction souple, claire et articulée de William Christie, à la tête des Arts Florissants.

LB