Chroniques

par bertrand bolognesi

Claudio Abbado et le Gustav Mahler Jugendorchester
Gustav Mahler | Symphonie n°9

1 DVD EuroArts (2004)
2054009
Claudio Abbado et le Gustav Mahler Jugendorchester

C'est dans le fort bel auditorium de l'Académie Sainte Cécile à Rome que ce document nous emmène : les jeunes instrumentistes du Gustav Mahler Jugendorchester arborent une mine réjouie lorsque Claudio Abbado, qui a fondé la phalange il y a dix-huit ans, fait son entrée en scène, visage souriant et amène.

À cette Neuvième symphonie de 1909 qu'on a dite trop vite exclusivement habitée par la mort, le chef italien intime une inflexion extrêmement élégante, sans rien accuser. Plus que de mort, c'est d'adieu qu'il s'agit, mais pas le sombre Abschied du Lied von der Erde : quelques mois après la perte de sa fille, celle de sa santé, et de ses responsabilités à l'Opéra de Vienne, il semble que le compositeur s'apprête à s'en aller sereinement – n'écrit-il pas « je me suis toujours su mortel » dans une lettre à Bruno Walter ? –, en livrant une dernière grande œuvre en ré majeur. Abbado propose un Andante prometteur, comme contenu dans le désir d'un mouvement qui paraît hésiter, dans un immense raffinement d'exécution mais aussi de conception. Si l'inquiétude parvient à poindre par endroit, c'est pour mieux entrer dans la lumière, de sorte que certains passages sonneront presque joyeusement. Rien à voir avec la rugueuse âpreté tragique de l'interprétation de Valery Gergiev, entendue à Saint-Denis ce printemps ! Les cuivres ne sont plus ici de mauvais augures, mais d'éclatants esprits tutélaires. Pour autant, Abbado n'exagère aucun effet : ce Premier mouvement s'avère d'une tenue exemplaire, contrasté juste ce qu'il faut, à peine lyrique, sans pour autant rejoindre l'aridité de la version de Michael Gielen, par exemple. Le retour du thème dansé des cordes se fait dans une grande sensualité, dans un enthousiasme qui finit par caractériser d'une fébrilité étonnante son interprétation. Une sorte de sagesse espiègle vient ensuite comme endormir l'Andante.

Le Ländler bénéficie ensuite d'un large éventail de nuances, offrant des pianissimi qui sont de véritables prises de risque, impliquant des choses très difficiles pour les musiciens. Sans hâte caricaturale, le mouvement est alerte, tout en soignant des soli délicats. Abbado sait parfaitement utiliser les forces de la jeunesse : tout cela est frais, propre à mettre chacun en valeur, et le chef convoque génialement l'énergie de sa pépinière, obtenant de chacun le meilleur de lui-même. Il tend la dynamique sans faire de drame, sans autre chose qu'une sorte de joie débordante.

Ce côté plus ou moins héroïque disparaîtra totalement du troisième mouvement, qui s'assombrit sérieusement. Le souffle devient même violent, d'un caractère rude et d'une humeur acharnée. Après de multiples rebondissements, le chef tend le propos jusqu'à la terreur, dans un tempo infernal. Enfin, le lyrisme de l'Adagio final se traduit dans le son lui-même plus que dans une sorte d'alanguissement de l'attaque ou de surenchère de la vibration ; le tempo est mobile, certes, mais sans plus. Globalement, le dernier mouvement n'a ici rien de funèbre ou de macabre : il est serein. C'est la fatigue plutôt que le découragement qui vient mettre un terme à la symphonie, la conscience peut-être qu'il reste beaucoup de choses à dire sans qu'il y ait le temps de le faire ; beaucoup a été dit déjà : on rencontre alors une sorte de satisfaction sage à reconnaître qu'il faut bien que tout cela s'arrête un jour. Et Abbado réussit à faire passer tout cela ! Pour accompagner ce crépuscule, la lumière de la salle s'éteint peu à peu, et seule la scène reste éclairée dans une calme pénombre ; le public disparaît comme la musique s'éloigne. Abbado emporte le son de l'orchestre, et le silence absolu qui suit l'exécution est bouleversant.

Ce DVD, qui a l'avantage d'être intelligemment filmé, nourri de véritables choix de la part du réalisateur Bob Coles, invite le mélomane à se méfier des idées reçues, et l'aide à écouter autrement une œuvre qu'il croit connaître. Ce n'est pas si fréquent, n'est-ce pas ?

BB