Chroniques

par laurent bergnach

Claude Debussy
Pelléas et Mélisande

1 DVD Deutsche Grammophon (2002)
073 030-9
Pelléas et Mélisande, opéra de Debussy

Après dix ans de gestation, Pelléas et Mélisande, la pièce de Maeterlinck lue en 1892 devient l'opéra en cinq actes créé le 30 avril 1902, à l'Opéra Comique de Paris. Debussy à découvert le poète qui lui convenait : celui qui, « disant les choses à demi, me permettra de greffer mon rêve sur le sien; qui concevra des personnages dont l'histoire et la demeure ne seront d'aucun temps, d'aucun lieu » (1889). On parle souvent du scandale des premières représentations ; elles ne furent agitées que pour de faux prétextes (rancœurs de Maeterlinck, cabale de wagnériens endurcis, etc.). Le public et la critique apprécia cette œuvre symbolique aux phrases triviales mais aux sens multiples, ce monde onirique où la tension croît malgré la pauvreté de l'action.

Le Prince Golaud en armure (Donald Maxwell) entre sur scène pour se rendre prisonnier d'un bosquet d'arbres. Il est perdu dans cette forêt où il fait la connaissance de Mélisande (Alison Hagley), souffrante, mystérieuse, puis confiante. Elle a l'air d'une enfant et en même temps, la mise en scène insiste – un peu trop d'ailleurs – sur sa sensualité. La fontaine dans laquelle elle a perdu sa couronne annonce les différents points d'eau de l'ouvrage, dont la Fontaine aux aveugles où tombera bientôt l'anneau confié par son mari, cet homme près de qui elle n'est pas heureuse – à la minute même de cette perte qui marque son rapprochement de Pelléas, Golaud fait une grave chute de cheval.

Geneviève (Penelope Walker, touchante) annonce au roi Arkel le mariage de son petit-fils avec la jeune inconnue. Le vieil homme, presque aveugle, regrette cette union qui remplace celle prévue avec la princesse Ursule, qui devait mettre fin aux haines et aux guerres. Comme s'il voulait faire preuve d'autorité après cette transgression de l'aîné, Arkel (Kenneth Cox) demande à Pelléas, demi-frère de Golaud, de rester auprès de son père malade plutôt que de se rendre au chevet d'un ami mourant.

Le drame se noue. À mesure que Pelléas (Neill Archer) s'enflamme pour Mélisande, l'ombre et l'odeur de la mort rôde dans la plupart des scènes – celle de la grotte, des caves du château et des moutons ne retournant pas à l'étable. Golaud, qui prend d'abord les rencontres des amoureux pour des jeux d'enfants, finit par tourner le dos à l'exaspérante jeunesse de Pelléas (la scène de la terrasse), puis par le menacer ouvertement : il ne doit plus s'approcher de la jeune femme. La jalousie le taraude au point qu'il brutalise son jeune fils Yniold (Samuel Burkey) au cours d'une séance de questionnements et d'espionnage très dérangeante et malmène Mélisande en la traînant à terre par les cheveux. Alors que Pelléas a décidé de quitter le château, Golaud surprend le couple qui s'avoue enfin son amour : il transperce le rival de son épée.

Au dernier acte, on retrouve Mélisande étendue sur un lit, épuisée. Golaud continue de la tourmenter dans sa quête de la vérité : ont-ils été coupables? Elle nie jusqu'à son dernier souffle, laissant derrière elle une petite fille qu'elle vient de mettre au monde et dont elle a la plus grande pitié.

Sombre, dépouillé et symboliste, le décor est plein de reflets de vagues et de scintillements d'étoiles, d'escaliers géants et de puits sans fond. Il répond aux diverses thématiques du texte qu'on préfère ne pas commencer à décrypter ici : l'enfance et la vieillesse, le regard et l'obscurité, la perte et l'errance, l'eau et le sang, etc. La descente de l'escalier, lors de la visite aux caves, nous permet de prendre conscience du talent de Peter Stein (qui a filmé sa mise en scène) à faire coïncider jeu et musique.

Sur le Prélude apparaît la partition prêtée par Durand, signée par l'autre complice de cette production : le chef d'orchestre Pierre Boulez. Les fréquentes apparitions de portées, en début de scène, permettent de réaliser à quel point Boulez est loin du métronome vivant qu'on le soupçonne d'être. Très sensuel et expressif, il est plus lyrique que dans sa version gravée avec Covent Garden (Sony). Il est mobile, contrasté (début de l'acte V) et sait comme personne donner du relief aux harpes (début de l'acte II) ou mettre en valeur le côté wagnérien de certains passages (hoé, hisse hoé, du chœur marin à la fin de l'acte I).

Des voix agréables et sonores – sauf peut-être Pelléas gêné sur les pianissimi et le médecin (Peter Massocchi) –, une diction excellente qui permet de se passer du sous-titrage – à part Mélisande, un peu floue –, une mise en scène simple qui génère un univers cohérent, le chef idéal à la tête de l'Orchestre National du Pays de Galles font de ce spectacle une remarquable réussite.

LB