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Chroniques
Christoph Willibald Gluck
Il trionfo di Clelia | Le triomphe de Clelia
Alors qu’il écrit pour Vienne des ballets et des opéras buffa, Christoph Willibald Gluck (1714-1787) reçoit parfois des commandes de l’étranger. C’est le cas avec Antigono (1756), conçu pour le Teatro Argentina de Rome, et Il trionfo di Clelia que le Nuovo Pubblico Teatro de Bologne souhaite associer à son inauguration, prévue le 14 mai 1763. Quitte à mettre en musique un livret de Métastase (comme l'y invite un contrat astreignant reçu en juillet 1762), Gluck aurait préféré L’Olimpiade – qui avait déjà séduit les Viennois grâce à Caldara (1733), puis les Milanais via Galuppi (1747) [lire notre critique du DVD] –, mais cette Clelia imposée, outre la licence d’une mise en scène fastueuse, permet de concurrencer l’ouvrage lyrique du même nom signé Johann Adolf Hasse, créé tout récemment dans la capitale autrichienne, le 27 avril 1762.
Six semaines avant l’inauguration, Gluck s’installe à Bologne pour adapter sa composition aux aptitudes de chanteurs talentueux (le soprano Antonia Maria Girelli-Aguillar, le ténor Giuseppe Tibaldi, le castrat-soprano Giovanni Manzoli, etc.), diriger les répétitions et tenir le clavecin durant les trois premières représentations. Malgré l’exigence de respecter la « nobile direzione » (style traditionnel), le créateur parvient à glisser des éléments réformistes en faveur de l’expression dramatique – la notice d’Angela Knapp recense de manière détaillée ces entorses au contrat. L’auteur d’Orfeo ed Euridice n’est pas satisfait d’un orchestre local manquant de précision, le public semble déçu dans son attente d’un réel ton festif, mais les places s’arrachent durant tout le printemps, pour un total de vingt-huit représentations (plus de trente mille billets !).
Trois actes font revivre le siège de Rome par les Étrusques, dont le souverain Porsenna retient en otage la jeune Clelia, dans un palais au bord du Tibre. Tarquinio se rend auprès d’elle pour lui offrir sa main – bien qu’il soit déjà promis à Larissa, fille du roi conquérant –, mais ce n’est qu’une manœuvre pour récupérer le trône qui lui échappe depuis que son père, le déchu Tarquinio le Superbe, et lui-même ont été proscrits par leurs concitoyens. De son côté, l’ambassadeur Orazio, fiancé à Clelia, refuse à Porsenna une reddition pacifique de la ville. Redoublant de manigance, Tarquinio se prépare à attaquer Rome sans informer l’Étrusque, puis à enlever Clelia. Finalement, c’est cette dernière qui fait éclater la traitrise du fourbe aux yeux de Porsenna et celui-ci accorde une paix durable aux deux peuples en présence.
« Il trionfo di Clelia est incontestablement une œuvre de haute valeur musicale : la partition est extrêmement brillante et d’une grande expressivité, tout comme les personnages qui s’acheminent vers leur destin héroïque en passant par toute la palette des émotions humaines », commente Giuseppe Sigismondi de Risio. À la tête de l’Armonia Atenea – une extension de l’Athens Camerata (1991) fondée en 2009, qui joue sur instruments d’époque –, il dirige avec nuance, élégance et vivacité cet ouvrage qui s’ouvre dans une jubilation inquiète, laquelle met en relief les percussions.
Six solistes défendent cette première discographique, aux récitatifs envahissants – prenons l’Acte II d’un livret ici seulement disponible en italien : écartés duetto, sinfonia, marcia, etc., il reste une aria pour chacun... Hélène Le Corre se montre souplement expressive en jeune captive. Fidèle à Händel et Vivaldi – et rôle-titre d’Oreste pour ce même label [lire notre critique du CD] –, Mary-Ellen Nessi (Orazio) offre présence, agilité et une once d’onctuosité. Outre la fureur, le mezzo peut sublimer une scène d’affliction telle « Dei di Roma ». Irini Karaianni (Tarquinio) offre une vocalise assez acide. Burçu Ulyar (Larissa) oscille entre prudence et hardiesse. Séduisant par ses récitatifs au grain brut, le ténor Vassilis Kavayas (Porsenna) déçoit par des airs largement nasalisés. Enfin, le contre-ténor Florin Cezar Ouatu (Mannio), plus à son aise dans Händel [lire notre chronique du 24 février 2012], complète ce sextuor malheureusement hétérogène.
LB