Chroniques

par hervé könig

Charles Koechlin
Les heures persanes Op.65 (version orchestrale)

1 CD Hänssler Classic (2006)
93.125
Charles Koechlin | Les heures persanes Op.65 (version orchestrale)

Se rappelant ses rêveries d'adolescent devant la nuit étoilée, Charles Kœchlin (1867-1950) confie à ses notes autobiographiques, en 1947 : « Mon rêve est demeuré le même, avec le sens, depuis toujours, des horizons lointains, irréels, – de l'infini, de la nuit mystérieuse, et des triomphes éclatants de lumière ». Outre de nombreux voyages en pays méditerranéens (Italie, Grèce, Turquie, Algérie, Maroc), des lectures ont nourri son imaginaire musical, comme les contes des Mille et une nuits, les nouvelles de Trois ans en Asie de Gobineau, mais surtout Vers Ispahan (1904) de Loti qui a directement inspiré Les Heures persanes Op.65, cycle en seize parties démarré en 1913.

Depuis la fin du XVIIIe siècle, l'orientalisme et l'exotisme influençaient les artistes français, et beaucoup d'écrivains, de peintres témoignent de leur attrait pour la civilisation et le monde musulman. Pour le musicien se pose la question de traduire aux oreilles occidentales la pensée arabe, sans la trahir ni la ridiculiser – Kœchlin lui-même dénonce laMarche turque, aux « rythmes lourdauds ». La transcription simple ou la recherche d'équivalences lui semblant trop approximative ou limitative, le compositeur choisit de simplement s'inspirer de l'atmosphère, des décors orientaux, gage d'authenticité et de liberté, comme il l'avait fait pour ses recueils de mélodies inspirées du Shéhérazade de Tristan Klingsor, en 1914, 1916 et 1923.

Les huit semaines d'expédition, entre Bouchir sur le Golfe Persique et Ispahan sur la Mer Caspienne, racontées par Loti dans son journal de voyage, sont condensées par Kœchlin : les titres successifs des morceaux annoncent clairement deux jours et demi d'étapes, avec Sieste avant le départ, Escalade obscure, Matin frais dans la haute vallée puis Clair de lune sur les terrasses, etc. Arabesques (n°12) et Le Conteur (n°14), insérés dans la deuxième journée, apparaissent comme des interludes, hors du temps, hommages appuyé à l'art de l'ornementation architecturale ou à la miniature. La suite pour piano, terminée en 1919, donnera naissance à la présente orchestration, réalisée en seulement deux semaines, en 1921.

L'interprétation de l'une des pages les plus célèbres de Kœchlin – avec Le Livre de la Jungle – par Heinz Holliger, son défenseur le plus ardent, révèle somptueusement la magie toute personnelle du timbre, usant volontiers d'effets de réverbération grâce à un instrumentarium stratégiquement choisi, dont la couleur générale hérite encore de Debussy tout en annonçant très sensiblement Dutilleux. Une fois de plus, le chef et hautboïste suisse signe une lecture profonde et inspirée, à la tête duSudwestrundfunk-sinfonieorchester Stuttgart.

HK