Chroniques

par laurent bergnach

Charles Ives
sonates pour violon et piano

1 CD Printemps des Arts de Monte-Carlo (2018)
PRI 024
La violoncelliste Liana Gourdjia et le pianiste Matan Porat jouent Charles Ives

Dans une nation condamnant les enfants des classes populaires à travailler jusqu’à soixante heures par semaine, l’Étasunien Charles Ives (1874-1954) a la chance de naître dans une famille relativement aisée où résonnent des marches, des hymnes, des airs patriotiques et un peu de musique savante (Bach, Händel, Beethoven, quelques extraits d’opéras célèbres arrangés pour fanfare). Musicien professionnel travaillant à mi-temps dans le commerce, son père, George Ives, assure ses premières leçons, en pratique (piano, violon, cornet à pistons) comme en théorie (solfège, harmonie, contrepoint). C’est également lui qui l’incite à expérimenter (polytonalité, quarts de ton, etc.). À l’âge de douze ans débutent les premiers essais de composition, prémisses à des combinaisons de langages ni paneuropéens ni nationalistes, qui intrigueront Schönberg et Stravinsky.

Au seuil du livre qu’il consacre à ce novateur du rythme, de l’espace et de la forme (Charles Ives, Aedam Musicae, 2017) [lire notre critique de l’ouvrage], Laurent Denave évoque les œuvres chantées (cent cinquante mélodies avec piano, dix psaumes pour ensemble) et orchestrales (quatre symphonies, les fameux Central Park in the dark et The unanswered question), qui constituent une part importante du catalogue ivesien. Par comparaison, les pièces chambristes parvenues jusqu’à nous se comptent sur trois mains. En émergent les quatre sonates pour violon et piano ici réunies, qui démontrent l’absence de périodes dans la vie du créateur, ce dernier prisant l’alternance comme palette sonore.

Conçue en trois mouvements ainsi que les suivantes, la Sonate n°1 (1908) offre une large place au violon et affirme un goût pour les climats contrastés. Le premier mouvement, par exemple, presque dégingandé, précède l’évocation nostalgique de grands espaces, elle-même ouvrant sur la partie finale, avec sa citation d’un hymne luthérien. La Sonate n°2 (1910) débute dans une certaine solennité, la grange médiane abritant moult danses de Nouvelle Angleterre. D’abord berceur, son ultime mouvement s’achève frénétique. De l’aveu même d’Elliott Carter, disciple et ami, la Sonate n°3 (1914) vise à montrer que son auteur maîtrise un style conventionnel… et s’en affranchit sciemment. Le ragtime y est convoqué. Enfin, la Sonate n°4 (1906/1915) évoque, en dix minutes à peine, un été dans un camp religieux du Connecticut, bâtie sur des citations annoncées par ses sous-titres.

Liana Gourdjia et Matan Porat ont enregistré ces pièces à l’Auditorium Rainier III de Monaco, au printemps 2018. Il faut remercier les artistes de ce programme qui peut inquiéter le grand public, et les féliciter, même si l’interprétation, malgré la lumière personnelle de la violoniste et l’indéniable technicité du pianiste, paraît parfois manquer d’éclat. Concernant la notice, l’on devait à Wiley Hitchcock celle imprimée jadis par Naxos [lire notre critique du CD] ; bien documentée, celle-ci est signée Emmanuel Hondré.

LB