Chroniques

par laurent bergnach

Charles Gounod
Faust

2 DVD EMI Classics (2010)
6 31611 9
En juin 2004, à Covent Garden

Comme le rappelle Berlioz au moment de faire entendre sa Damnation de Faust (1846), la légende du pacte diabolique est du domaine public, circulant dans la littérature nord-européenne bien avant Marlowe et Goethe. La vision de ce dernier – réédité en langue française pour la troisième fois en 1840, une quatrième en 1850 – a particulièrement inspiré les musiciens qui mirent le thème à la mode des salles parisiennes, au milieu du XIXe siècle : ballet de Cesare Pugni (1849), drame fantastique de Couder (1850), saynète musicale de Ruytler, féérie-vaudeville de Camille Schubert (1858), etc. Créés le 19 mars 1859 au Théâtre-Lyrique, les cinq actes de Charles Gounod furent longuement muris, suite à la lecture de Goethe dans sa vingtième année :

« Cet ouvrage ne me quittait pas ; je l’emportais partout avec moi, et je consignais, dans des notes éparses, les différentes idées que je supposais pouvoir me servir le jour où je tenterais d’aborder ce sujet comme opéra, tentative qui ne s’est réalisée que dix-sept ans plus tard » (in Mémoires d’un artiste, Calmann-Lévy, 1896).

Avec Carmen, Faust est sans doute l’ouvrage français le plus représenté de par le monde. En juin 2004, la présence de Roberto Alagna et de Sophie Koch à Covent Garden apportent une french touch supplémentaire. Si la diction brouillonne et le chant maniéré de Siebel déçoivent, la clarté du rôle-titre impressionne, au point qu’on lui pardonne de nouveau ses travers (attaques pas toujours franches, port de voix pucciniens, rubati). Compréhensible et charismatique, Bryn Terfel incarne un Méphisto’ polymorphe avec la grossièreté qui convient. Vaillant, quoique un peu absent dans le grave, Simon Keenlyside offre à Valentin une mort sans ridicule. De fait, le chant éteint et sourd d’Angela Gheorghiu – Marguerite bien peu crédible – tranche avec tous ces joyaux sonores.

On doit à David McVicar la mise en scène de cette coproduction non dépourvue d’humour (des pirouettes diaboliques jusqu’au ballet final, drôle et cruel) comme de subversion (le Veau d’or évoqué au pied d’un crucifix dont les stigmates ruissèlent de vin), où les Français belliqueux et papistes sont épinglés. En fosse avec l’Orchestre du Royal Opera House, Antonio Pappano dirige subtilement, prenant soin d’apporter à la partition profondeur, respiration et largesse de ton.

LB