Recherche
Chroniques
Camille Saint-Saëns
Ascanio
Une année bien remplie par les célébrations du centenaire de la disparition de Camille Saint-Saëns se referme. Ces hommages étaient préfigurés en amont par la parution du très rare Ascanio, ultime ouvrage lyrique du maître, créé en 1890 au Palais Garnier pour trente-trois représentations et vite repris en 1891, puis rappelé, après le fatidique 16 décembre 1921, dans une version plus proche de ses autres œuvres, fidèles au grand opéra français.
De ce meilleur encens nous revient l’essence grâce aux recherches menées par Guillaume Tourniaire. Il était temps de donner Ascanio dans toutes ses splendeurs, selon le chef français qui, à partir d’un manuscrit autographe de 1888, établit une intégrale parfaitement renseignée qu’il interprète fin 2017, à Genève, entouré de forces musicales conséquentes. De là, un enregistrement, paru en livre-disque, qui marque le couronnement d’une entreprise parvenue à la hauteur du sujet. Car c’est un travail de ciseleur que de jouer dans tout son faste cet opéra en cinq actes et sept tableaux dont le livret de Louis Gallet adapte le roman historique éponyme d’Alexandre Dumas (Ascanio ou L’orfèvre roi, 1843) en s’inspirant surtout des trépidantes Mémoires de Benvenuto Cellini (1500-1571), l’artiste florentin, parues en français à partir de 1822.
Comme figure héroïque d’artiste et personnage de cape et d’épée, Cellini fascina tout ce que Paris comptait d’auteurs au XIXe siècle. Son nom nous est resté comme celui d’un opéra que Berlioz composa en 1837 [lire nos chroniques des productions de Renaud Doucet et de Terry Gilliam, puis celles des concerts du 4 avril 2003 et du 28 août 2016, enfin de la gravure de Roger Norrington], et son aura marqua l’imaginaire français bien davantage que sa statuaire présente à l’Italie, le séjour en région parisienne n’ayant duré que cinq ans.
Pour cet argument situé à Paris en 1539, Saint-Saëns emprunte en partie à la musique de la Renaissance qu’il pastiche, en particulier pour le bal des muses, déesses et autres merveilles constituant l’Acte III, en l’honneur de Charles Quint invité à Fontainebleau. Assez connu au concert avec son charmant air de flûte, ce divertissement royal place parmi les êtres mythologiques la Duchesse d’Étampes, femme ambitieuse jusqu’à la perfidie et maîtresse de François Ier. Extraordinaires, ces amants font le sel d’Ascanio. Plus vrais que nature, le couple de légende s’insère à miracle dans le tissu symphonique conçu par Saint-Saëns, qui manifeste un génie original dans l’usage des motifs musicaux – rappelés ou conducteurs, selon la distinction du critique Charles Malherbe dans sa notice publiée en 1890.
Soprano reconnu dans l’univers baroque, Karina Gauvin est sublime dans le rôle de la Duchesse, extrêmement séductrice. Autre satisfaction québécoise, le baryton Jean-François Lapointe brille de mille feux en menant de bout en bout le jeu émotionnel en Benvenuto Cellini. La basse Jean Teitgen offre toute satisfaction pour incarner le roi François dans sa justice et sa magnificence, tandis que le ténor Bernard Richter (Ascanio, élève de Cellini) et le soprano Clémence Tilquin (Colombe d’Estourville) donnent vie aux jeunes amoureux en soignant leurs airs – les plus mélodieux que Saint-Saëns ait intégrés. Pour rendre la fraîche et candide protégée de Cellini, Scozzone, bouleversante par le chant et son allant dramatique, Eve-Maud Hubeaux semble le mezzo idéal. De même la fougue du jeune ténor Bastien Combe campe-t-elle avec belle franchise l’infâme D’Estourville.
Enfin, à la tête de l’Orchestre de la Haute École de Musique de Genève, Guillaume Tourniaire défend admirablement les subtilités de la partition. Il en anime le récit d’une énergie vitale impressionnante, rare dans la musique de théâtre de Saint-Saëns. La vigueur est aussi évidente dans la prestation du Chœur du Grand Théâtre de Genève associé à celui de l’institution précitée. D’Ascanio l’on ne peut qu’espérer connaître une mise en scène, un beau jour... dès que possible !
FC