Chroniques

par jo ouaknin

César Franck – Charles-Marie Widor
Trois chorals – Symphonie Op.13 n°4

1 CD Académie de Musique et d’Arts Sacrés (2012)
ADMAS 002
L'organiste Véronique Le Guen joue César Franck et Charles-Marie Widor

Sur le grand orgue Cavaillé-Coll de la Basilique Sainte-Anne d’Auray (Morbihan), le plus important lieu de pèlerinage chrétien de Bretagne, Véronique Le Guen, titulaire du grand orgue Merklin de Saint-Germain de Rennes, enregistrait à l’automne 2011 un répertoire qu’on connaît sans connaître, croit-on, et qu’il est bon de réentendre, quitte à confronter ses préjugés. Joue-t-on beaucoup la musique du Lyonnais Charles-Marie Widor (1844-1937), par exemple ?... sans doute ne la joue-t-on pas trop, c’est certain. Parti perfectionné son art en Belgique à la fin de l’adolescence, le jeune compositeur s’installait à Paris au milieu des années soixante du XIXe siècle. C’est là qu’entre 1864 et 1872 il écrira ses quatre premières Symphonies pour orgue qu’il éditerait sous le numéro d’opus 13 en 1872, à l’âge de vingt-huit ans : n’y cherchons donc pas la personnalité affirmée des quatre prochaines (opus 42, parues en 1887), et moins encore la maîtrise des deux dernières (Symphonie Op.70 n°9 « Gothique », 1895 ; Symphonie Op.73 n°10 « Romane », 1900).

Œuvre de jeunesse, la Symphonie Op.13 n°4 répond formellement plus au genre de la suite qu’à l’annonce de son titre. Ce n’est qu’à partir de 1879 qu’avec sa Symphonie Op.42 n°5 Widor pensera ses grandes fresques organistiques comme un tout structuré, abandonnant alors le tissage de pièces indépendantes dans un ensemble auquel on se demandera s’il croyait lui-même, au fond. La Quatrième répond cependant encore à ce « modèle ». L’hommage à Bach de sa Toccata d’ouverture articule un thème martial qui tire le Cantor vers Liszt, à travers une écriture volontiers redondante que les registrations sages de ce disque ne soulignent qu’à peine. Saveur joliment boisée de la Fugue, parfum feutré de l’Andante cantabile, Scherzo de convention suivi d’un Adagio éthéré… il n’y a guère que la fête brillante du Finale, avec la franche vélocité de sa variation, qui capte l’attention.

Quant à elle, la seconde partie du CD satisfait pleinement.
Dernières pages de César Franck (1822-1890), les trois Chorals de 1890 prouvent d’une invention harmonique qui ne lâche pas l’auditeur. La rigueur incisive de la manière franckiste conduit le Moderato en mi majeur FWV 38 n°1 à un final triomphant. La grandiloquence terrible Quasi allegro en la mineur FWV 40 n°3 enchevêtre sa toccata en trombes à un choral recueilli, puis s’élève avec grande inspiration sur une mélodie tendre. La lancinante scansion extatique du Maestoso en si mineur FWV 39 n°2 bénéficie d’une aura de profondeur au flamboiement soudain. L’interprétation de Véronique Le Guen en révèle en partie les richesses, l’acoustique de Sainte-Anne et la prise de son sans doute difficile brouillant le rendu, notamment dans la péroraison romantique du troisième Choral, curieusement lointaine. On écoutera donc cet album avec plaisir, mais toujours en regard des somptueuses gravures d’André Marchal, si l’on se tourne vers le passé, et de la fort belle version récente de Jordis Verdin (Ricercar) – profitons-en d’ailleurs pour signaler au lecteur le passionnant coffret Œuvres posthumes et inédites de Franck, par cet organiste (RIC 324).

JO