Chroniques

par stéphanie cariou

César Cui
Un festin au temps de la peste – pièces variées

1 CD Chandos Records CHAN (2004)
10201
César Cui | Un festin au temps de la peste – etc.

César Cui (1835-1918) est le compositeur le moins connu du Groupe des Cinq, comprenant Moussorgski, Rimski-Korsakov, Borodine et Balakirev. Né à Vilnius, d'une mère lituanienne et d'un père français officier dans l'armée de Napoléon, il commença à étudier la musique lors de ses études secondaires avec le compositeur polonais Stanisław Moniuszko – notamment le canon et le contrepoint – mais dut arrêter lorsqu'il fut placé en école militaire. Sa rencontre avec les musiciens Balakirev, talentueux autodidacte et figure de proue du Groupe des Cinq, et Alexandre Dargomijski, lors de sa sortie de l'école, lui redonna le goût de poursuivre son activité musicale.

Cui était considéré comme le compositeur le plus dramatique de ce groupe et reconnu pour ses arrangements de chants et ses opéras (Mlada, Le Chat Botté), au nombre de quinze. Il était aussi très attiré par la littérature française (Hugo, Richepin, Maupassant, Mérimée) qui lui inspira certaines de ses œuvres (Angelo de Victor Hugo). L'une des ballades, Les Deux Ménétriers Op.42 chantée par le soprano, est d'ailleurs un texte (traduit) de Jean Richepin. Il se montrait très à l'aise dans ce domaine, plus parfois que dans le russe.

Un festin au temps de la peste est écrit sur un texte de Pouchkine qui inspira tant de livrets d'opéra (dont Fille du Capitaine de Cui) – texte tiré d'une série de pièces de théâtre nommées Petites tragédies. Ces portraits psychologiques de personnages traversant un moment douloureux de leur vie donnèrent tous lieu à des opéras : Le Chevalier avare (Rachmaninov), Mozart et Salieri (Rimski-Korsakov) et Le Convive de Pierre (Dargomijski). Ici, l'œuvre concernée montre un groupe d'amis, présidés par Walsingham, festoyant, lors de la peste de Londres en 1665, peut-être pour la dernière fois de leur vie. Chacun d'entre eux fait part de son angoisse à sa manière, lorsqu'un prêtre survient et leur demande de cesser leur fête, qui est une insulte à Dieu et aux morts de l'épidémie. Il est chassé par les convives mais le président, se souvenant de son épouse, plonge dans une profonde mélancolie. Le climat est plus russe qu'anglais, mais la souffrance humaine n'a pas de frontières.

La musique est d'une beauté à couper le souffle. L'atmosphère lugubre et sans espoir de la pièce est parfaitement réussie, grâce à une orchestration et des motifs d'une grande richesse. Non moins belles sont les voix qui servent leur répertoire avec grandes émotion et conviction. Les couleurs sont soutenues par une technique qui fait parfois défaut aux voix russes, même si une nette amélioration a été remarquée lors des dernières années. Le président du baryton Andrei Bakiturin mêle autorité et fragilité, réconfort et mélancolie. La mezzo-soprano Ludmila Kuznetsova, voix sombre, souligne la générosité du rôle de Marie, à l'inverse du personnage gracile et un peu aigri de Louisa, chanté par la soprano Tatiana Sharova de manière honorable. Le prêtre de Dmitri Stepanovitch (basse) est à la fois d'une grande sagesse, mais aussi désespéré. Le ténor Alexei Martinov campe un jeune homme insouciant.

Signalons TroisScherzos Op.82 (en ut majeur n°1, en fa majeur n°2 et en ut mineur n°3), plus légers, qui créent une détente, puis trois merveilleuses ballades : Les Deux Ménétriers Op.42 déjà évoquée, Le Beau Printemps (extrait d’Échos de guerre Op. 66) chantée par le mezzo-soprano et Budrys et ses fils Op.98, d'après Pouchkine, confiée au baryton avec le même bonheur.

L’Orchestre Symphonique de l’État Russe, superbement dirigé par Valery Polianski, constitue un bel écrin pour ces chanteurs et rend les scherzos moins superficiels, grâce à une précision et une fluidité, et en même temps une luxuriance caractéristique des orchestres slaves. Après avoir écouté ce disque, on regrette de ne pas entendre plus de raretés des compositeurs russes. Si des efforts ont été faits, notamment par Valery Gergiev et son orchestre du Mariinski, il reste malgré tout un travail de découverte considérable, qui espérons-le, sera continué de façon active.

SC