Chroniques

par bertrand bolognesi

Bruno Lussato
Voyage au cœur du Ring – Poème commenté

Fayard (2005) 832 pages
ISBN 2-213-61125-4
Voyage au cœur du Ring – Poème commenté, par Bruno Lussato

Alors que l'Europe musicale se met à l'heure wagnérienne, la publication de Voyage au cœur du Ring de Bruno Lussato propose une lecture détaillée du grand œuvre bayreuthien. Si Staffan Valdemar Holm s'engage à Stockholm dans un « Focus Wagner » – dont Rheingold et Walküre viennent d'être présentés au public –, juste après la reprise de la production de David Alden à Munich et celles de Robert Carsen à Cologne, de Adolf Dresen à Vienne, de Robert Wilson au Théâtre du Châtelet (Paris) et de Jean-Louis Grinda à l'Opéra Royal de Wallonie (Liège), l'automne dernier, le cycle londonien signé Keith Warner s'achève à Covent Garden, tandis qu'en juin prochain Dresde montrera une nouvelle fois celui de Willy Decker, Gand offrant en même temps un Rheingold qui ouvrira l'interprétation de Ivo van Hove. On trouvera d'autant plus précieux ces deux tomes édités par Fayard que Stefan Braunschweig se lance dans une Tétralogie pour le festival d'Aix-en-Provence représentée dès juillet, un projet qui occupera quatre années et qu'honoreront les musiciens du Berliner Philharmoniker placés sous la direction de Simon Rattle. Outre les nombreuses parutions vidéastiques consacrées, ces derniers temps, à des ouvrages de Wagner, on aura particulièrement remarqué le concept relativement intéressant de confier la mise en scène de chaque épisode du Ring à quatre artistes différents – filmé en 2002 à l'Opéra de Stuttgart et restitué par TDK/EuroArts : Das Rheingold par Joachim Schlömer, Die Walküre par Christoph Nel, Siegfried par le tandem Wieler et Morabito, Götterdämmerung par Peter Konwitschny – et la vision de Harry Kupfer pour Bayreuth, rendue disponible par Warner Classics.

Ici, les commentaires du cycle sont volontairement succincts, l'auteur s'attachant avant tout à révéler les interventions des leitmotivs, jusqu'en leurs entrelacs les plus subtils, se gardant pour autant d'orienter l'affect du lecteur. Cet espoir d'objectivité est si rare, dès lors qu'on aborde l'univers wagnérien, qu'on le tiendra pour louable et précieux, bien que certains détails nous amèneront inévitablement à nous interroger quant à la réussite complète d'un tel détachement. Mais, sans passion, que ferait-on ? Du reste, Bruno Lussato avoue lui-même que « ce travail d'analyse, loin de dessécher notre émotion, l'a considérablement accrue ». Avant même de parler des leitmotivs, il détaille chaque cellule, chaque cheville, chaque embryon de phrase qui les formera. Dans la Tétralogie, tout motif musical semble en effet issu d'indices préalablement amorcés. L'entreprise est de démontrer qu'à partir d'un matériel plus restreint qu'on s'entend d'ordinaire à le considérer, Wagner est parvenu, en appliquant une discipline de déduction et prolifération autant précise et systématique que souple et même ouverte, à la grande variété qu'offrent ces quinze heures d'opéra.

À la relative aridité de l'analyse pas à pas de la partition et du livret du Ring s'adjoint une « Encyclopédie » qui propose des éclaircissements divers et souvent plus développés qui ne sauraient qu'enrichir, jusqu'en leurs éventuelles contradictions, l'appréhension de l'œuvre. Lussato ne s'en tient cependant pas là : dans une sorte de préliminaire intitulé Spécificité des quatre drames, il s'attarde à tâcher d'expliquer le peu de popularité de Rheingold – aucun personnage ne permet l'identification de l'auditeur – et la facilité, au contraire, de La Walkyrie, perçu comme plus normal. On tracera aisément son chemin dans l'analyse grâce à une présentation d'une grande clarté : le poème de Wagner en allemand sur la page gauche, traduit en français sur la page droite, avec le suivi musical sur la colonne extérieure gauche et le suivi théâtral (texte et didascalies) sur la colonne extérieure droite. Par une codification très exacte, cette analyse renvoie constamment à l' « Encyclopédie » qui constitue le second tome de cette publication.

Ce voyage dans les systèmes gigognes leitmotiviques conçoit le matériau wagnérien comme un vaste organisme vivant. Outre le travail sur les leitmotivs, bien attendu, l'auteur décèle un rôle accordé par Wagner à l'emploi récurent de telle ou telle tonalité : par exemple, Si b mineur est celle des Nibelungen, ré b majeur celle des Dieux, etc. Les questions de métrique sont elles aussi intégrées à une vue très large. Ces considérations se trouveront nuancées, développées, explicitées et même discutées, en quelque sorte, dans le second tome [lire notre critique de l’ouvrage].

BB