Chroniques

par hervé könig

Brian Ferneyhough
pièces avec flûte

1 CD Bridge (2002)
9120
Brian Ferneyhough | pièces avec flûte

Les mélomanes français connaissent bien le Britannique Brian Ferneyhough qui anime depuis plusieurs années déjà les académies de composition de l'Abbaye de Royaumont. Né à Coventry (Angleterre) en 1943, il découvre la musique dans un contexte populaire, en jouant de la trompette dans des brass bands, ces fameuses fanfares, typiquement folkloriques. Très vite, il se tourne vers des études de composition (notamment auprès de Lennox Berkeley) et de direction d'orchestre. Sa démarche demeure celle d'un autodidacte passionné qui ne doit s'affranchir d'aucun héritage magistral. Depuis son départ de Grande-Bretagne en 1968, l'audience de sa musique s'élargit. Il accumule les prix à travers l'Europe, et gagne la réputation d'un très grand pédagogue, à tel point que certains commentateurs ont vu en lui une nouvelle figure du modernisme et un maître regroupant autour de lui, à la manière d'Arnold Schönberg. D'ailleurs, comme ce dernier, Ferneyhough s'affirme « responsable devant l'histoire » et déclare : « j'enseigne parce que je n'ai pas reçu d'enseignement moi-même... ».

On tient sa musique pour extrêmement complexe. Si elle prend ses racines dans les raisonnements de la pensée sérielle des années cinquante et soixante, c'est pour mieux la détourner. Son souci du détail semble un défi constant pour la plupart des interprètes. C'est pourquoi un temps de préparation important est nécessaire pour aborder une partition de Ferneyhough et qu'il y a beaucoup à apprendre de lui, lorsqu'on a la chance de l’approcher, comme le fit Kolbeinn Bjarnason pour la préparation de ce disque. Élève en philosophie et littérature à l'Université d'Islande, c'est en 1979 qu'il obtient son diplôme de flûtiste au Collège de Musique de Reykjavik. C'est la pianiste Valgerour Andrésdóttir qui l'accompagne sur l'œuvre qui ouvre cet enregistrement.

L'écriture de Ferneyhough ne se donne pas facilement ; elle demande une grande rigueur technique, mais dès qu'on y est entré – de l’avis des instrumentistes qui l'abordèrent –, c'est comme si le chemin s'ouvrait le plus simplement qui soit. Pour l'auditeur, c'est un peu la même chose : on se laisse facilement accrocher par un trait et l'on se retrouve dans une écoute passionnée ; en revanche, plus on croit y pénétrer, moins on la saisit. Cette musique se dérobe, entretient le mystère comme aucune autre. Quant au compositeur, il explique lui-même volontiers ses prisons, ses Carceri d'Invenzione par un exemple qui laisse rêveur : écrivant directement au propre, des erreurs s'intercalent parfois au fil de sa pensée sur la page ; les corriger peut consister alors à retravailler ses erreurs afin de les justifier après coup. Ainsi, la forme, au départ très préméditée, calculée, se trouve magnifiée par le hasard. Cela implique que la surprise, pour Ferneyhough, est intégrée à la pensée musicale aussi vite qu'elle surgit. Comme l'a dit Marc Texier, « ...le hasard est rendu nécessaire... ».

Les Quatre miniatures (1965), première œuvre au catalogue du Britannique, fut composée sous l'influence avouée des premières pièces non tonales de Webern. Sa préoccupation, à l'époque, est d'« explorer les espèces de discours en lesquels la forme saurait trouver une totalité telle que sa trame générale rencontre l'articulation de ses détails ». Cette suite en quatre mouvements très brefs propose une sorte de paysage dépouillé maintenant un supposé non-dit musical, idée qui fera plus tard son chemin dans d'autres œuvres.

Cassandra's Dream Song (Chanson du Rêve de Cassandre, 1970) contient deux différentes structures musicales convergeant vers un mélange de détermination et de forme ouverte. Six parties, dont le matériel est centré autour du mode de la, sont données dans un ordre précis. Mais viennent s'intercaler cinq autres parties dont l'ordre est choisi par l'interprète seul. L'impression obtenue est celle d'un chaos organisé, proche peut-être de la transe contrôlée des chamanes.

Unity Capsule (1975-1976) est la plus virtuose de toutes les pièces pour flûte solo de Ferneyhough. On y discerne de multiples strates : la forme générale consiste en trois parties principales non séparées, elles-mêmes divisées en nombreuses subdivisions. Chaque partie principale représente un degré supplémentaire dans la progression de l'emphase, depuis le silence prolongé du début jusqu'à l'extrême densité du final. On y peut voir une tentative d'étalement de l'impossible polyphonie d'un solo.

Superscriptio (1981) est un travail sur la limite et la frontière. C'est pourquoi son créateur a eu recours aux sons aigus, si typiques du piccolo. On y retrouvera des traits d'arabesques entendus dans l'œuvre précédente. L'ornement pourrait y faire figure de trouble-fête, et possède un caractère irrévérencieux qui peu à peu gagne toute amorce de phrase, si bien qu’on a l'impression d'une dislocation permanente assez vertigineuse.

Carceri d'Invenzione IIb (1984) est la version solo d'une pièce pour flûte et orchestre de chambre. Elle appartient à un cycle, composé entre 1981 et 1986, de sept compositions pour instruments solo (avec ou sans accompagnement de chambre) et orchestres de proportions variées. Le cycle fut inspiré par une série de gravures de l'artiste et architecte romain Piranèse. On put l'entendre dans sa totalité, il y a quelques années, grâce à l'initiative du Festival d'Automne à Paris. Ces prisons démontrent tant l'absurdité du substitut mathématique au sens de la vie que la stérilité de toute interrogation sur celle-ci : la musique y fait figure de rêve éveillé, un enfermement qu'on a pu juger austère autant que tourmenté. L'interprétation gravée ici possède peut-être un son trop léché pour nous plonger tout à fait dans cette problématique.

Enfin, Mnémosyne (1986), pour flûte basse et bande enregistrée de huit flûtes basses, fait référence à la déesse grecque de la mémoire. L'antiquité grecque est très présente dans la production de Ferneyhough, de l'illustration des désastres intérieurs de Cassandre à la déroutante méditation sur le tableau de Dürer La Chute d'Icare. Le développement de la partie électronique fonctionne indépendamment de l'expression du soliste physique. Elle sert plutôt de toile de fond en réintroduisant les idées harmoniques, et donne une note principale, un peu comme un ostinato, autour de laquelle le flûtiste tisse des séries intervalliques enchevêtrées. On retrouve ici une préoccupation constante chez l'auteur, une opposition entre la souplesse interprétative et la rigidité d'une bande magnétique. Le personnage flûte-live, pourrait-on résumer, est prisonnier des flûtes fictives, des réminiscences de flûtes, en quelque sorte, et sa lutte même, ici relativement calme, a conscience de l'impossibilité fatale d'une tentative d'évasion ; du coup, ce qui commence comme un vol désespéré s'assagit vers la prière.

Le label new-yorkais Bridge produit un disque qui introduirait avantageusement un néophyte dans l'univers de Brian Ferneyhough. Les différentes pièces au programme y sont présentées par ordre chronologique de composition, et l'on conseillera une première écoute d'une seule traite. Malheureusement, pas de notice en français ; mais ce compte-rendu vous aidera sans doute !

HK