Chroniques

par laurent bergnach

Benjamin Britten
The rape of Lucretia | Le viol de Lucrèce

1 DVD Opus Arte (2013)
OA 1123 D
Benjamin Britten | The rape of Lucretia

Malgré le succès de Peter Grimes qui contribue au renouveau de l’opéra anglais [lire notre critique du DVD], en juin 1945, Benjamin Britten (1913-1976) souffre non seulement des restrictions liées à la guerre mais de son image de pacifiste et d’objecteur de conscience – des prises de positions qui donneront naissance à War Requiem (1962) [lire notre critique du DVD] et Owen Wingrave (1971). Dès lors, il se retrouve sans théâtre et fonde sa propre troupe : The English Opera Company. C’est l’occasion de concrétiser un projet d’opéra de chambre auquel le musicien pense depuis quelque temps, persuadé qu’une économie de moyens peut générer un impact dramatique plus intense.

Premier du genre avec ses huit chanteurs et treize instrumentistes, The rape of Lucretia Op.37 s’inspire d’une pièce éponyme d’André Obey, parue en 1931. Avant d’adapter Eschyle, Sophocle et Aristophane après-guerre (L’Orestie, Œdipe Roi, La Paix), le dramaturge français s’est penché sur Tite-Live et raconte Rome au moment où Lucius Tarquinius Superbus, son septième et dernier roi (de 534 à 509 av. J.-C.), repousse une invasion grecque. Né quarante-six ans après le Christ, et plus d’une centaine après l’auteur d’Histoire de Rome depuis sa fondation, Plutarque fait perdurer la mauvaise réputation du souverain étrusque :

« Tarquin le Superbe n'avait pas acquis le pouvoir par des voies honorables, mais au mépris de la piété et des lois ; il ne l'exerça pas comme doit le faire un roi, mais avec l'insolence d'un tyran. Le peuple le trouvait odieux et détestable ; il prit occasion, pour se révolter, du malheur subi par Lucrèce, laquelle avait été violée et s'était suicidée » (Vies parallèles des hommes illustres).

Créé avec succès au Festival de Glyndebourne le 12 juillet 1946, l’ouvrage en deux actes sur un livret de Ronald Duncan est joué à celui d’Aldeburgh en juin 2001 (Snape Maltings Concert Hall). David McVicar propose une vision assez sobre qui place les protagonistes dans un univers archaïque et minéral égayé d’eau (Tibre et lavoir) et de végétaux (lit de pétales de l’hôtesse, délimitant un espace sacré bientôt profané par « le Tigre », parangon des mâles abrutis par l’ennui). En fosse, Paul Daniel entretient une belle urgence, à la tête de l’Orchestre de l’English National Opera.

« Observateurs » impliqués graduellement jusqu’au dénouement, les deux choristes sont campés par John Mark Ainsley, ténor sain, ferme et souple – déjà apprécié en Vere de Billy Budd [lire notre critique du DVD] – et Orla Boylan, soprano onctueux et fluide. Christopher Maltman (Tarquinius) possède sonorité, nuance et unité dans le timbre, tandis que Sarah Connelly (Lucretia) offre un chant évident, plein et charnel. Côté soldats, on trouve Clive Bayley (Collatinus) un peu instable et Leigh Melrose (Junius), vaillant et d’une grande présence dramatique quand il délaisse ses grimaces de coq outragé ; côté servantes, on apprécie l’efficacité de Catherine Wyn-Rogers (Bianca), mais moins le timbre blanc de Mary Nelson (Lucia). [distribution DistrArt Musique]

LB