Chroniques

par laurent bergnach

Benjamin Britten
Death in Venice | Mort à Venise

2 CD Chandos (2005)
CHAN 10280(2)
Benjamin Britten | Death in Venice

Benjamin Britten gardait l'habitude de réfléchir des années à un projet, et son dernier opéra, Death in Venice Op.88, en donne la preuve. De la nouvelle de Thomas Mann parue en 1912, il conserve une édition anglaise de 1929, et l'idée d'en tirer une œuvre lyrique dès 1965. En septembre 1970, il contacte Myfanwy Piper pour un livret qu'il achève de mettre en musique en décembre 1972. Mann souhaitait traiter de la passion en tant que désordre et avilissement. Mais le compositeur va plus loin que l'évocation d'un amoureux qui perd ses repères : après le simple droit à la vie (Owen Wingrave, son opéra antimilitariste), il défend la possibilité pour tout un chacun de s'exprimer en art et en amour, contre toute censure sociale – bref, le droit d'exister. L'œuvre est créée le 16 juin 1973, durant le Festival d'Aldeburgh, avec l'opportunité pour son compagnon Peter Pears de jouer un rôle d'homme mûr.

Habitué aux personnages complexes de Britten – Peter Grimes [lire notre critique du DVD] ou Billy Budd [lire notre critique du DVD] –, Philip Langridge livre de nouveau une performance convaincante. Fébrile quand il résiste aux tentations de Dionysos, serein quand il parvient à s'en arranger, il est l'écrivain Gustav von Aschenbach qui pense trouver à Venise un sursaut à son inspiration créatrice. Certains airs sont presque a cappella tant le parlando d'un unique piano est discret. Face à lui, une multitude d'opposants – dont un vieux gondolier incontrôlable, aux allures de Charon – est interprété par un même baryton, Alain Opie, au timbre chaud. Il incarne vaillamment tous ces beaux parleurs, ces menteurs qui font de la ville un labyrinthe de pièges – de la perte des valises jusqu'à l'épidémie dissimulée – dont le héros ne s'échappera pas. Quoi qu'il lui en coûte, Aschenbach renonce à la fuite, et les accords finaux, apaisés, signalent son soulagement, sinon sa rédemption.

Avec le contreténor Michael Chance (la voix d'Apollon), le chœur des BBC Singers complètent la distribution. Citons isolémentAlison Place (Nounou russe), Carolyn Foulkes (Vendeuse de journaux), Andrew Murgatroyd (Portier de l'hôtel) et Simon Birchall (Guide), mais des scènes collectives sont très soignées, comme la compétition sportive à la fin du premier acte ou le Chant du rire dans le second. Richard Hickox dirige le City of London Sinfonia avec beaucoup de nuances et de relief.

LB