Chroniques

par laurent bergnach

Benjamin Britten
Owen Wingrave

1 DVD Arthaus Musik (2003)
100 372
Benjamin Britten | Owen Wingrave

En 1968, avec sa librettiste Myfanwy Piper, Benjamin Britten ébauche le scénario d'une de ses dernières œuvres : Owen Wingrave. La BBC étant commanditaire de l'œuvre, une version télévisée précède la représentation scénique. Le tournage a lieu dès novembre 1970 avec les plus grandes stars de la scène lyrique anglaise (Peter Pears, Janet Baker, John Shirley-Quirk, Benjamin Luxon, etc.), et sa diffusion le 16 mai 1971. Deux ans plus tard, presque jour pour jour, l'œuvre est créée au Royal Opera House Covent Garden. Britten jugea équivalente la qualité des deux versions. Tant mieux, puisque c'est justement une version télévisée de 2001, mise en scène Margaret Williams pour Channel 4, qui fait l'objet de cette production.

Comme pour The Turn of the Screw, l'inspiration vient de la lecture d'un roman éponyme d'Henry James, publié en 1892. Un jeune pacifiste (Gerald Finley) se rebelle contre sa famille marquée depuis des lustres par la tradition militaire. Contre toute attente, Spencer Coyle (Peter Savidge), son enseignant à l'école militaire comprend sa position alors que sa tante (Josephine Barstow) le menace, que son grand-père (Martyn Hill) le déshérite et que sa fiancée (Charlotte Hellekant), vivant sous le toit familial, le traite de lâche. Pour l'enseignant, Wingrave a « fait son choix avec toute la force de son intelligence », mais la disgrâce est quand même au rendez-vous lorsque le jeune homme quitte l'école pour retrouver la demeure familiale. Son idéal de paix se heurte à la devise Obéir, Croire, Accepter et il comprend qu'on l'a choyé jusqu'ici uniquement pour le capital de gloire qu'il représentait. Relevant un ultime défi de la femme qu'il aime, il accepte, pour prouver son courage, de passer la nuit dans une pièce hantée au dernier étage de la maison. Jadis, un jeune Wingrave y fut tué d'un coup à la tête par son père qui l'accusait aussi de lâcheté. Et comme on retrouva l'homme décédé mystérieusement à côté de son enfant, Kate se penchera bientôt sur le corps sans vie d'Owen.

La version télévisée de cet opéra de chambre permet un réalisme qui nous happe dès l'ouverture instrumentale, lorsque l'on sent Wingrave cerné par tous ces portraits d'ancêtres morts au combat – que penser, d'ailleurs, d'un patronyme si chargé (win = gagner, grave = tombe) ? –, avant de l'être par les Gorgones de la famille. Les conversations téléphoniques sont moins statiques que sur une scène, les discours intérieurs se passent bouche fermée et les fantômes peuvent apparaîtrent et disparaître en gros plan. Les chanteurs sont excellents et surtout idéalement distribués, de la tête à claques de Lechmere (Hilton Marlton) à la mercantile Mrs Julian (Elizabeth Gale).Dirigeant le Deutsche Symphonie-Orchester Berlin,Kent Nagano décline une riche palette de couleur.

En complément de programme, un documentaire fort intéressant, avec de précieuses images d'archives, revient sur le parcours pacifiste de Britten (son exil aux États-Unis durant la Seconde Guerre Mondiale, son War Requiem, etc.), sur sa liaison avec le ténor Peter Pears. Oui, une vie de lutte pour conserver l'amour n'est pas moins courageuse qu'une mort irresponsable sur le champ de bataille...

LB