Chroniques

par anne bluet

Benjamin Britten
cycles de chansons

1 CD Naxos (2004)
8.557201
trois cycles de chansons de Benjamin Britten

Les cycles de chansons de Benjamin Britten, qu'ils soient accompagnés par l'orchestre, le piano, la harpe, ou la guitare, constituent une part importante de son œuvre. Les trois cycles réunis sur ce disque couvrent les années 1940-1953, période étonnamment fertile pour lui (pas moins de huit opéras, Spring Symphony, cantate Saint-Nicolas, etc.). Naxos réédite aujourd'hui les enregistrements parus chez Collins Classics : celui-ci, gravé par l'excellent Philip Langridge et accompagné par Steuart Bedford, date de 1996. Il brille par le raffinement de ses interprétations et l'évidence du dire, à tel point que l'on pourrait par moment oublier qu'il s'agit de chant. C'est avec plaisir que l'on retrouve ce très beau travail.

Bien que créés à Londres en septembre 1942, les Sept Sonnets de Michel-Ange Op.22 furent achevés en octobre 1940, durant l'exil (volontaire) américain de Britten. En 1939, le compositeur avait mis en musique la poésie symboliste de Rimbaud, Les illuminations, dans un de ses travaux les plus aboutis à l'époque (il a alors vingt-six ans). C'est peut-être le succès remporté par cette partition qui l'a incité à affronter de nouveau une autre langue que l'anglais. Les Sept Sonnets est la première œuvre exclusivement composée pour le ténor Peter Pears, l'homme qui partage sa vie. Que ces vers déclinent plusieurs aspects de l'amour n'est donc pas un hasard. Dès les premières mesures, le pianiste offre une belle fluidité à ces pages, volontiers rebondissante (plage 13, par exemple).

Le cycle suivant pour voix et piano, The Holy Sonnets of John Donne Op.35, est nettement différent par le ton et l'ambiance générale. Et il parle la langue de l'auteur ! Cela pourrait paraître un détail, mais il n'en est rien : l'opus 22 n'est pas convainquant, en partie à cause de l'italien qui n'est pas naturel à l'inventivité de Britten. Il a été écrit en août 1945, à la suite de la première triomphante de Peter Grimes, au retour d'une visite de camps de concentration allemands effectuée avec Yehudi Menuhin. Le cycle cherche à saisir l'intensité de cette sombre expérience mais trahit également la préoccupation musicale du moment, à savoir la passion de Britten pour Purcell (d'autres œuvres de l'époque, comme le Quatuor pour cordes n°2, en portent la marque). Ô mon âme sombre s'ouvre sur un glas dans le grave du piano sur lequel Philip Langridge va languissamment poser une mélodie inquiète avec une grande intelligence du texte, suivant chaque sentiment, chaque intention, chaque image pas à pas avec un art parfaitement maîtrisé. Bedford s'avère nuancé, posant clairement le climat de chaque poème. La calme lamentation O might those sighes ans teares (n°3) est ici expressive et magnifiquement menée, de même que l'énigmatique et malsain What if this present (n°5).

Les huit morceaux sur les poèmes de Thomas Hardy, Winter Words Op.52, datent de 1953, et marquent une pause entre la rédaction des deux opéras, Gloriana et The Turn of the Screw. Bien que Britten ne renonce pas à l'abondance inventive des opus précédents, les textures sont généralement plus minces, plus économiques, avec pour résultat un texte projeté avec beaucoup de clarté. Les trouvailles ne manquent pas, du sifflet de train de Midnight on the Great Western à l'accompagnement de piano sur At the Railway Station, conçu comme une partition pour violon solo. Le cycle s'achève sur un thème cher au compositeur, celui de la corruption de l'innocence. À un caractère très nettement britténien vient s'ajouter un goût pour les tableaux de genre, comme la seconde mélodie qui plante efficacement le décor d'une ballade – laquelle n'est pas sans évoquer certaines pages du Knaben Wunderhorn de Mahler, de même qu'on entendra quelque chose de schumanien dans Before Life and After (plage 24).

AB