Chroniques

par françois-xavier ajavon

Benjamin Britten – Edward Elgar
Our hunting fathers – Introduction and Allegro – Enigma variations

1 CD LPO (2005)
0002
Britten – Elgar | œuvres pour orchestre philharmonique

Ce disque est caractéristique d'une tendance nouvelle dans l'édition discographique classique, que l'on peut observer depuis quelques années : certains des orchestres les plus prestigieux exploitent directement leurs archives, et sortent des CD sous leur propre label ; ici, LPO Records. Jusqu'à maintenant la grande formation placée sous la baguette de Kurt Masur a publié une dizaine de disques fort intéressants, nous permettant d'écouter dans les meilleures conditions des enregistrements rares ou introuvables. Le programme proposé par celui-ci, consacré à la musique britannique du XXe siècle, nous replonge dans l'ambiance des glorieuses années Haitink, chef principal du London Philharmonic Orchestra de 1967 à 1979, avec lequel il garda longtemps des relations étroites. Nous retrouvons ainsi trois enregistrements live réalisés par la BBC, au Royal Festival Hall pour l'Introduction and Allegro d’Elgar (1984), au Royal Albert Hall pour ses Variations Enigma (1986) et le cycle de mélodies Our hunting fathers de Britten (1979).

On reste soufflé par la puissance et la densité de ces interprétations. Même si parfois la rusticité des ces enregistrements analogiques peuvent agacer (avec souffle violent, toussotements entre les mouvements et manque évident de définition et de profondeur sonore), on est à chaque instant sous le charme de la vision majestueuse, romantique et pleine de lenteur de Bernard Haitink, notamment sur l'œuvre d'Elgar. Si le couplage Elgar/Britten ne peut se justifier que par la thématique de la musique britannique contemporaine, on ne regrette en rien la présence du cycle de jeunesse Our Hunting fathers Op.8 d'après des poèmes de W.H. Auden. Œuvre de commande datant de 1936, ce cycle balance toujours entre tendresse et sauvagerie, douceur et violence. La soprano Heather Harper est très à l'aise dans ce registre sauvage (Rats Away !), mais parvient aussi à nous toucher plus subtilement (Messalina). L'œuvre a été crée pour la voix de Sophie Wyss à qui Britten dédia son cycle vocal Les Illuminations, mais le compositeur accepta plus tard qu'elle fut interprétée pour une voix aiguë, et l'on conseillera au mélomane curieux la version qu'il dirigea lui-même avec le ténor Peter Pears (BBC collection Britten the performer). Il n'en demeure pas moins que Haitink parvient ici à retranscrire avec beaucoup de brillance et d'énergie cette œuvre de jeunesse, et que la voix d'Heather Harper, si puissante et délicate, va où une voix de ténor (fut-elle celle de Pears) ne pourra jamais aller…

Le chef donne aux œuvres d'Elgar (1857-1934) toute la majesté et la densité qu'elles nécessitent pour être parfaitement comprises. Même s'il s'attaque à deux tubes qu'à peu près tous les grands ont dirigés et enregistrés, sa vision de cette musique est originale de par sa lenteur et son élégance. Il n'hésite pas à faire du matériau musical elgarien une noble relique victorienne, à laquelle on doit respect et déférence. Dans l'Introduction and Allegro for string quartet and string orchestra Op.47 de 1904-1905, Elgar construit une œuvre pastorale pleine de finesse, aux contours modernisés d'un concerto grosso à l'ancienne. Haitink circule avec beaucoup d'aisance dans cette atmosphère légèrement surannée d'empire britannique sûr de sa domination sur le monde et les arts. Les Variations on an Original theme « Enigma » Op.36 (1898-1899) constituent certainement l'œuvre la plus connue d'Elgar et celle que l'on retrouve le plus fréquemment aux catalogues des maisons de disques et aux programmes des concerts. La recette de ce succès est assez géniale : un thème mystérieux – dont l'origine déchire toujours les musicologues spécialistes d'Elgar – suivi de quatorze variations originales et vivantes. Chacune d'elles se voulait aussi, dans l'esprit de l'auteur, le portrait de l'un de ses amis. Aujourd'hui, à plus de cent ans, cette page nous touche toujours autant, et l'on peut difficilement rester insensible, par exemple, à la variation Nimrod et à la profondeur déchirante de ses nappes de cordes soulignées aux timbales.

Au final, ce disque est très attachant. Les enregistrements, malgré les handicaps inhérents à leur âge, sont d'une vitalité époustouflante et parviennent à nous faire regretter de n'avoir pas été sur place au Royal Albert Hall un de ces soirs perdus des années quatre-vingt… Le livret reprend le texte de W.H. Auden pour le cycle de songs de Britten, et propose une petite présentation des œuvres et des interprètes, en anglais seulement.

FXA