Chroniques

par laurent bergnach

Au delà du temps
un portrait de Glenn Gould

1 DVD Idéale Audience International (2006)
DVD9DM24
Au delà du temps, un portrait de Glenn Gould

Déjà l'auteur de sept films dont Glenn Gould était le héros, Bruno Monsaingeon propose aujourd'hui Au delà du temps, une rétrospective de la vie et de la carrière du pianiste canadien – réalisée à l'aide de documents audiovisuels d'une incroyable richesse et dont certains sont inédits –, qui entend réfléchir, avec une part de fiction, à la relation entre l'interprète et le public. En effet, à l’instar du réalisateur évoquant la part d'autonomie qu'on perd en écoutant Gould, de nombreuses personnes entretiennent avec lui un lien presque vital, que ce soit la propagandiste de Moscou qui utilise internet pour faire part de son amour, la jeune japonaise qui reçoit une réponse à son courrier des années après la mort (le 4 octobre 1982) de celui qu'elle souhaitait comme professeur ou le vidéaste qui bricole des bandes pour des rencontres virtuelles. Si certains peuvent nous toucher ou nous effrayer, ces témoignages semblent bien anecdotiques à côté de la partie Glenn Gould par lui-même qui nous permet de cerner un être peu conventionnel.

Nul doute que le caractère de l'homme a influencé son attitude d'artiste. Né le 25 septembre 1932, l'enfant a d'abord vécu sous l'influence d'un précepteur, lui faisant prendre en horreur le cadre imposé par le milieu scolaire, où toute fantaisie est réprimée. Aimant la lecture (Kafka, les auteurs russes, etc.), la campagne, les balades en voiture, l'adolescent prodige devient un ermite notoire qui favorise la conversation téléphonique plutôt qu'une proximité qui le déconcerte et, au pire, préfère la compagnie des « gens de communication » – diplomates ou journalistes non formatés – que celle de confrères. Rejeté par la profession musicale, c'est à son tour qu'il s'éloigne du public, décrit comme « une force maléfique ». Le 10 avril 1964, à Los Angeles, il donne son dernier concert, arguant que c'est un passage utile pour se faire connaître, mais qu'on vieillit à toute allure à se produire un soir sur deux.

Abordé comme un cloître qui protège des événements éphémères du monde, le studio d'enregistrement devient désormais son univers. Là, il vit pleinement sa relation avec Bach, Beethoven et aussi les piliers de la Seconde Ecole Viennoise, héritiers du contrepoint pur, plus stimulants que Bartók ou Stravinsky. Loin de la routine des concerts, l'enregistrement dans un espace matriciel est un art en soi qui ouvre aux secrets de la composition et lui permet de transformer l'interprétation en acte de création. L'arbitraire transforme alors l'exécution en une forme de happening dont la caméra garde plus d'une trace, tout au long de sa carrière. De son propre aveu multi-névrosé, sorte de James Dean du classique, Gould fascine parce qu'en équilibre entre autisme et exhibitionnisme, froideur et lyrisme – de la trentaine d'extraits agrémentant généreusement le film, on est particulièrement saisi par son approche nuancée de Mendelssohn, Sibelius ou Schönberg.

LB