Chroniques

par bertrand bolognesi

Arturo Fuentes
quatuors à cordes

1 CD Kairos (2017)
0015015 KAI
Le Quatuor Diotima joue le Mexicain Arturo Fuentes (né en 1975)

À l’écoute de cette gravure, l’auditeur pourra songer que l’univers sonore d’Arturo Fuentes participe de cette fascination de Jorge Luis Borges et de tant d’autres créateurs, dont Italo Calvino n’était pas des moindres, pour le labyrinthe. Dans la notice du CD paru chez Kairos, Paco Yañez indique que le compositeur mexicain (né en 1975) « échange des matières techniques et stylistiques axées sur l'exploration d'une narrativité complexe avec laquelle il érige un haut niveau d'abstraction ». Après l’avoir applaudi au festival Klangspuren de Schwaz dans Ice reflection [lire notre chronique du 9 septembre 2018], nous retrouvons le Quatuor Diotima avec ce disque entièrement consacré à la musique de Fuentes. Une fois n’est pas coutume, la succession des pièces au programme suit exactement l’ordre chronologique de composition.

La vivacité sinueuse qui, dès l’attaque méandreuse, comme surgie d’une monde lointain, caractérise Broken mirrors (Miroirs brisés, 2008 ; révision en 2014), infiltre d’emblée l’écoute par des lignes ténues, bientôt tendues jusqu’à des tautophonies insistantes dont les proliférations tournoient volontiers. La cérémonie de rythmes en écho renvoie peut-être au miroir, mais dans sa réflexion de l’image quartettiste le geste se brouille en des démultiplications irrégulières, jusqu’à l’ultime fuite en avant, glace en paravent que l’on referme sur elle-même d’une main décidée – les échos microscopiques retournent à l’obscur augural.

En 2011, Arturo Fuentes conçoit Liquid crystals (Cristaux liquides, 2011) que l’on pourrait imaginer antérieur dans la dramaturgie de ces quatuors : les cristaux se scindent par une liquéfaction magique formant une texture toujours en mouvement, comme en cours d’élaboration, vivante. L’insaisissable de ces fusions qui, par le recours à certains modes de jeu, développent des teintes savantes, mène, au cœur de la pièce, à une respiration progressive du flux. La précision confondante des interprètes – Yun-Peng Zhao et Constance Ronzatti aux violons, Franck Chevalier à l’alto et Pierre Morlet au violoncelle – signe une appropriation stimulante et de haute tenue.

Trois ans plus tard survient Ice reflection (Reflet sur glace, 2014) dont l’amorce revendique sa parenté avec Broken mirrors. C’est le déplacement de la lumière sur le figement gelé, alors surface du temps, qui semble avoir inspiré le compositeur. Après qu’un virtuose réseau d’éclaboussures ait habitué l’oreille à l’impermanence de ces facettes, les figures sont soudainement privées de l’icône évolutive à laquelle elles s’identifiaient. À l’inquiétude succède une paix furtive, pour conclure.

Glass distortion (Déformation par le verre, 2015) est la page la plus récente de l’album. Elle est aussi la plus développée, avec une durée double, environ, des précédentes. Cette fois, Arturo Fuentes a recours à l’électronique, ainsi qu’au frottement de verres à eau. L’idée musicale se déploie au fil d’une scansion paradoxale généreusement réverbérée. Le raffinement de l’œuvre annonce assurément celui de l’opéra Carlotas Zimmer que nous applaudissions l’an dernier [lire notre chronique du 8 septembre 2018]. La densification des ressources s’interrompt çà et là pour laisser apparaître quelques îlots presque muets, par comparaison. Dans l’aura d’un mi sifflé, cet opus écrit spécialement pour Diotima conclut brillamment le CD, passionnante immersion dans l’univers très personnel du compositeur, que véhicule une énergie inouïe.

BB