Chroniques

par françois-xavier ajavon

Arnold Bax
pièces pour piano (vol.3)

1 CD Naxos (2006)
8.557769
Arnold Bax | pièces pour piano (vol.3)

En trois volumes, le jeune et brillant pianiste britannique Ashley Wass a gravé pour Naxos une quasi intégrale de l'œuvre pour piano d'Arnold Bax (1883-1953). Après deux disques consacrés essentiellement aux grandes sonates du compositeur anglais [pour le premier d’entre eux, lire notre critique du CD], ce volume explore avec bonheur et cohérence les pièces courtes de son catalogue, marquées par l'influence de Debussy et Scriabine. Naxos nous permet donc d'élargir notre connaissance de ce compositeur de premier plan qui n'a malheureusement pas toujours les honneurs des dictionnaires et des encyclopédies de la musique. Personnalité attachante et discrète, Bax a toutes les apparences d'un artiste officiel : musicien de la cour britannique, il est anobli en 1937 puis, pendant la guerre, devient Master of the King's Music (comme le furent Elgar ou Bliss, et l'est aujourd'hui Sir Peter Maxwell Davies) ; sans parler de ses multiples titres de Docteur Honoris-Causa, dont celui de la prestigieuse Université d'Oxford. Outre son génie musical un peu conventionnel, Bax était aussi passionné par la littérature et nous a laissé sous pseudonyme une œuvre abondante, en prose et en vers, sous l'influence de Yeats.

Son catalogue comporte à la fois une vaste œuvre pour orchestre (sept symphonies et des poèmes symphoniques dont le très connu Tintagel – que David Lloyd-Jones à la tête du Royal Scottish National Orchestra contribue à faire connaître chez Naxos), une œuvre chorale, de la musique de chambre, de la musique de film, et de très nombreuses songs. Excellent pianiste, Arnold Bax jeune se produisait sur scène pour jouer sa musique ou accompagner. Son œuvre pianistique se compose de quatre vastes sonates composées entre 1910 et 1934, ainsi que de transcriptions d'opus orchestraux et d'un certain nombre de pièces courtes.

What the minstrel told us (1919) est une ballade d'une dizaine de minutes, composée sur une mélodie traditionnelle irlandaise. L'œuvre a été crée un an plus tard par la girlfriend de Bax, la jeune et charmante Harriet Cohen. A Mountain mood (1915) est une gentille miniature marquée par des mélodies inventives dans un contexte musical conventionnel. The maiden with the Daffodil, écrite durant la Première Guerre mondiale, est un divertissement libre et léger aux réminiscences debussystes, que Bax voulait « innocent et frais ». Paean (1928), pièce plus tardive à la construction complexe, est dédiée à son ami pianiste Franck Merrick ; il s'agit d'une irrésistible passacaille évoquant de furieux tintements de cloches. A Hill Tune (1920) est une élégante ballade marquée par des références internes à l'œuvre de Bax lui-même et à la musique populaire irlandaise. Mediterranean (1920) est intelligemment qualifié dans le livret du CD comme une carte postale musicale très gaie que Bax a composée suite à une virée estivale entre amis musiciens à Majorque. The Princess's Rose Garden (1915) est un nocturne qu'il voulait « rythmiquement somnolent, mais raisonnablement lent » ; le résultat est une pièce convaincante pleine de lenteur et de mystère, de plus de sept minutes, l'un des plus beaux morceaux de la sélection.

Two Russian Tone Poems (Nocturne-May night in the Ukraine et Gopak) remonte à 1912. Il évoque l'une des nombreuses escapades amoureuses du compositeur : en effet, en 1910, Bax avait parcouru la Russie et l'Ukraine à la recherche d'une certaine Natalia Skarginska, parfaitement inconnue et romanesque. La fresque qui résulte de cette première incursion de Bax dans la miniature pianistique est une réussite, et un trésor de trouvailles harmoniques et d'atmosphères. Lullaby (1920) est une berceuse plutôt dynamique et dansante destinée à la danseuse Tamara Karsavina. Le programme très riche de ce CD se referme logiquement par Sleepy-Head ; cette très belle pièce de cinq minutes est encore un message envoyé par le compositeur à l'une des nombreuses femmes, cette fois-ci la légitime, Elsita, qu'il était sur le point de quitter en mai 1915. Le livret nous invite à voir cette très belle berceuse comme une évocation du sommeil de leurs deux enfants.

Ashley Wass, bien connu de l'autre côté du tunnel, notamment pour sa sélection par la BBC en tant que New Generation Artists pour deux saisons, pour ses nombreux enregistrements et un mini-concert qu'il donna lors du récent Golden Jubilee de la reine Elisabeth, saisit parfaitement l'univers musical de Bax et sait en rendre les subtilités comme l'ambition parfois démesurée de poète épique.

FXA