Chroniques

par françois-xavier ajavon

Arnold Bax
pièces pour piano (vol.1)

1 CD Naxos (2004)
8.551439
Arnold Bax | pièces pour piano (vol.1)

Les disquaires n'ont pas fini de se plaindre du pullulement des noms de compositeurs en B : Beethoven, Bach, Brahms, Berlioz, etc. Ce qui a une très fâcheuse tendance à déséquilibrer leurs rayonnages. Et le problème se pose aussi pour les seuls compositeurs britanniques : Britten, Berkeley, Bliss, Bridge, Benjamin et Bax entre autres. C'est à se demander si Burcell, Baughan-Billiams, Bholst ou encore Bippett, n'ont pas changé de noms uniquement pour acquérir plus de visibilité dans les linéaires des grandes surfaces culturelles !

Trêve de plaisanteries, car Naxos nous permet d'élargir notre connaissance de l'œuvre d’Arnold Bax (1883-1953), un compositeur britannique de premier plan qui n'a malheureusement pas toujours les honneurs des dictionnaires et des histoires de la musique. Personnalité attachante et discrète, Bax a toutes les apparences d'un artiste officiel : musicien de la cour britannique, il est anobli en 1937, puis devient Master of the King's Music pendant la guerre (comme le furent Elgar, Bliss et l'est, depuis cette année, Sir Peter Maxwell Davies). Sans parler de ses multiples titres de Docteur Honoris Causa, dont celui de la prestigieuse Université d'Oxford. Mais outre son génie musical un peu conventionnel, Bax était aussi passionné par la littérature et nous a laissé sous pseudonyme une œuvre abondante, en prose et en vers, sous l'influence de Yeats.

Son catalogue comporte à la fois une vaste œuvre pour orchestre (sept symphonies et des poèmes symphoniques dont le très connu Tintagel – que David Lloyd-Jones à la tête du Royal Scottish National Orchestra contribue à faire connaître chez Naxos), une œuvre chorale, de la musique de chambre, de la musique de film, et de très nombreuses songs. Excellent pianiste, durant sa jeunesse Arnold Bax se produisait sur scène pour jouer sa musique ou faire de l'accompagnement occasionnel (parenthèse anecdotique : en 1909, il joua sur scène la partie pour piano de mélodies de Debussy en présence du compositeur, et en 1914 il interpréta du Schönberg face à ce plus illustre Arnold). Son œuvre pianistique se compose de quatre vastes sonates composées entre 1910 et 1934, ainsi que de transcriptions d'opus orchestraux, et un certain nombre de pièces courtes.

La Sonate en fa dièse mineur n°1 est une fascinante et vaste sonate romantique aux accents lisztiens en un mouvement, que Bax a composé lors d'un voyage en Ukraine en 1910. Très influencé par la musique russe de l'époque (dont Scriabine et le méconnu Glazounov), Bax développe une musique intense et passionnée dans le cadre d'une structure si ambitieuse et étendue qu'elle ne peut nous faire songer qu'à la Russie et à ses grands espaces. Impossible d'imaginer que cette œuvre ait été composée par un Anglais, si ce n'est la retenue du final qui a des accents proches d’Elgar.

La Sonate n°2 a été composée neuf ans plus tard. Toujours structurée en un seul mouvement, elle s'étend sur près d'une demi-heure. Sans programme explicite, on a souvent entendu dans son développement parfois très sombre des séquelles du choc de la Première Guerre mondiale et de la Révolution russe. Alternant ces moments de noirceur (dont l'introduction) avec des thèmes épiques, cette longue sonate, qui joue constamment sur la juxtaposition des thèmes davantage que sur leur développement, nous laisse dans une émotion intense et nous invite à un voyage vers un authentique univers musical, qu'il faut redécouvrir d'urgence.

Le programme est complété par quatre pièces courtes pour piano seul écrites entre 1915 et 1920. D'intérêt assez variable, ces pièces, souvent écrites pour sa femme Harriet Cohen, nous montrent un Bax plus joyeux, comme dans le Burlesque ou In a Vodka Shop, ou encore plus accessible dans Dream in Exile ou Nereid.

Le jeune pianiste britannique Ashley Wass est bien connu de l'autre côté du tunnel notamment pour sa sélection par la BBC en tant que New Generation Artists pour deux saisons, par de nombreux enregistrements et même un mini concert qu'il donna lors du récent Goldent Jubilee de la Reine Elisabeth. Quel pianiste français irait ainsi se vanter, dans le livret d'un CD, d'avoir joué à l'Élysée, à Matignon ou au Ministère de l'Agriculture ?... Wass saisit parfaitement l'univers musical de Bax et sait en rendre les subtilités de miniaturiste comme l'ambition parfois démesurée du poète épique qu'il était aussi. La prise de son rend globalement justice à l'interprétation, et les ingénieurs nous offrent une véritable image stéréophonique large et compréhensible du piano. Le livret, assez succinct, est en anglais.

FXA